Entretien avec l'actrice et réalisatrice Zar Amir Ebrahimi

"Je ne lâche jamais prise"

Tatami met aux prises une judoka iranienne et le pouvoir oppressif de son pays, dans le huis clos d’un championnat de judo. Derrière la caméra avec Guy Nattiv, l’actrice exilée Zar Amir Ebrahimi incarne une coach écartelée entre la résistance et l’obéissance au régime. L’exil est aussi un sport de combat.

En quoi le choix de l'exil est-il une forme de résistance particulière pour les athlètes et les artistes ?

De nombreuses personnes choisissent l’exil pour pouvoir vivre en paix et poursuivre leur passion. Mais tout le monde ne s’engage pas en politique ni ne dispose d’une tribune. Un athlète, un cinéaste, un politicien, ou un activiste, quelqu’un avec une voix, peut représenter une menace pour un gouvernement. Si quelqu’un choisit l’exil simplement pour vivre librement, sans autre motif, le gouvernement n’y prête pas vraiment attention. Mais ce qui unit le sport et le cinéma, c’est que nous avons une voix qui porte. Et si nous choisissons de l’utiliser, elle sera entendue. Nous avons un large public, et notre voix, nos actions, peuvent aller très loin. C’est précisément cela qui dérange un régime totalitaire.

Pourquoi la peur de représailles contre la famille est un facteur déterminant dans la décision de s'exiler, comme vous le montrez dans le film avec ces transfuges iraniennes ? 

Beaucoup d’athlètes ont été confrontés au même dilemme, au même problème d’une manière ou d’une autre. Il y a toujours une pression qui s’exerce sur la famille, utilisée comme levier pour convaincre. La peur est omniprésente : on craint que désobéir puisse mettre en danger la vie de nos proches. C’est ce que montre le film.

 

Indépendamment des aspects politiques qui sont traités dans le film, quel est votre rapport au judo, comme discipline sportive ? 

Je ne connaissais pas du tout le judo avant de faire Tatami. C’était nouveau pour moi, un monde à découvrir, et une véritable philosophie de vie. C’est un sport de combat, mais il n’y a pas de place pour la violence, et on ne doit pas blesser son adversaire. Le fait d’utiliser la force de l’adversaire pour la transformer en sa propre force est particulièrement intéressant. Cela nécessite un contrôle de soi et une subtilité que je trouve fascinante.

 

Comment avez-vous travaillé la dimension sportive de la compétition, tout en transmettant l'intensité des enjeux qui se jouent sur le tatami ?

Avec Guy Nattiv, nous avons établi une véritable partition du travail. Il s’est concentré sur la chorégraphie des combats, en s’appuyant sur sa connaissance approfondie du judo. De mon côté, j’ai cherché à capturer les enjeux psychologiques qui sous-tendent chaque confrontation. Pour rendre palpable la subtilité du judo, nous avons privilégié des plans serrés sur les visages pour capter les micro-expressions, des mouvements de caméra fluides qui suivaient les athlètes dans leurs déplacements, sur et en dehors du tatami. Nous avons également travaillé sur une lumière qui créait une atmosphère intimiste, propice à l’expression des émotions.

Zar Amir Ebrahimi (à gauche) et Arienne Mandi - Tatami - Copyright Metropolitan FilmExport
Pourquoi avoir fait le choix du noir et blanc ? 

Le noir et blanc était pour nous le moyen d’accentuer le caractère manichéen des choix auxquels sont confrontées nos protagonistes. Ces femmes sont prises au piège dans un dilemme où chaque option entraîne des pertes considérables. Le noir et blanc symbolise cette dualité, cette impossibilité de concilier leurs aspirations personnelles et les contraintes sociétales. Nous avons également été inspirés par le réalisme brut de Raging Bull. L’utilisation du noir et blanc dans ce film nous a paru particulièrement efficace pour retranscrire la violence intérieure des personnages. Nous souhaitions retrouver cette intensité dans notre propre film, en mettant en lumière la lutte intérieure de nos héroïnes. Le huis clos du stade, avec ses couloirs étroits et son tatami, nous a semblé l’environnement idéal pour un film en noir et blanc. Les contrastes entre les ombres et les lumières renforcent l’atmosphère de tension et d’isolement.

L'intervention de commentateurs sportifs professionnels est une idée très originale. Comment avez-vous synchronisé leurs commentaires avec les images du film pour créer du réalisme ?

L’idée d’intégrer de vrais commentateurs sportifs est née de notre volonté de créer une expérience cinématographique aussi authentique que possible. Nous souhaitions que le spectateur ait l’impression d’assister en direct à une compétition de judo. Ces commentateurs, avec leur expertise et leur passion, apportent une dimension supplémentaire au récit, en offrant des clés de compréhension pour le néophyte tout en ajoutant une touche d’humour pour les connaisseurs. Pour travailler avec eux, nous avons mis en place un dispositif spécifique. Une fois le film monté, nous les avons invités à visionner le film dans son intégralité. Ils ont ensuite enregistré leurs commentaires en direct, comme s’ils étaient dans un studio de télévision. Nous avons ensuite synchronisé leurs voix avec les images, en veillant à ce que leurs interventions soient pertinentes et crédibles.

Avez-vous ressenti une forme de double exigence en tant qu'actrice et en tant que coréalisatrice de Tatami ?

Nous avons tourné en vingt-deux jours, et presque toutes mes scènes ont dû être filmées en une ou deux prises. Nous étions pressés, donc chaque prise devait être la meilleure possible. Tous les acteurs, l’équipe et moi-même étions préparés pour maximiser chaque prise. Personnellement, je ne lâche jamais prise.  Alors quand je joue, je garde toujours un œil sur mon image, et j’ai une capacité un peu étrange à dissocier ce que je vois de ce que je ressens. En tant qu’actrice, je suis très critique envers moi-même, et rarement satisfaite. C’était vraiment précieux que Guy soit là. Nous regardions ensemble chaque scène et décidions si elle était à garder ou à refaire. C’était un véritable jeu de ping-pong.

Par Jo Fishley