Festival Premiers Plans d’Angers : Conversation avec Léa Drucker
« J’essaie de simplifier »
Macha Méril et Léa Drucker lors du Festival Premiers Plans à Angers. Photo : Sandrine Jousseaume.
Léa Drucker était à Angers en compétition pour le premier long-métrage événement de Xavier Legrand, Jusqu’à la garde. Elle s’est aussi prêtée à un exercice phare du Festival Premiers Plans : la lecture de scénario. Avec Macha Méril et Frédéric Jessua, elle a donné de la voix à Deux, premier film pas encore tourné, que Filippo Meneghetti a coécrit avec Malysone Bovorasmy. Réaction à chaud après la prestation, et digressions sur son parcours.
Très particulier. Quand on fait une lecture dans une boîte de production, on lit chacun sa partie. Là, on était trois acteurs pour jouer tous les personnages et les didascalies, qui sont très importantes. Il y en a beaucoup dans ce film, fait de nombreux silences, qui racontent plein de choses. On est obligé de les lire. Elles ne sont pas anodines, pas ordinaires. Tout ça, plus nos dialogues, et jouer la mère et la fille à certains moments, faisait que c’était un exercice très difficile.
La première fois en public, oui.
Ou qui les joueraient encore autrement. Mais ça fait vivre un scénario, sur lequel les auteurs ont écrit pendant longtemps, sans que ça ait pu s’animer, puisque ces films sont en cours de construction.
Non. Je l’avais lu il y a un an, et il m’avait beaucoup plu. Je l’ai relu avant de venir. J’avais déjà rencontré Filippo, dans l’idée de faire le film ensemble.
Non, on n’a pas pu. On est arrivés hier. Macha jouait au théâtre, Frédéric est arrivé ce matin. On a un peu bricolé une répétition. Juste une petite mise au point. On a discuté avec Filippo sur la répartition des rôles, sur le fait ou non de dire le nom du personnage à chaque fois. À certains moments c’est possible, à d’autres non, et le public peut comprendre qui est qui.
Oui, on vous raconte l’histoire du film. C’est un tout qui est présenté. Le scénario est un objet assez confidentiel, finalement. C’est en cela que c’est un événement, vous avez accès à un scénario d’un film qui n’est pas encore tourné. C’est un moment unique.
Ça doit être impressionnant et vraiment bien pour eux de l’écouter comme ça, parce qu’ils doivent savoir, du coup, ce qu’ils vont peut-être modifier. Ça sonne tout de suite, ou ça ne sonne pas.
On ne joue pas complètement, pas comme sur un plateau. Ça ne doit pas être si différent que ça, mais c’est juste la première fois qu’on sort les mots. C’est des impressions de ce qu’on voudrait jouer, des intentions. Parfois on est complètement dedans, et parfois on essaie un truc, ça ne marche pas, mais c’est trop tard, on l’a fait. C’est important de s’entendre soi à l’oreille, de sortir des choses à voix haute.
Oui, c’est un résultat plus ou moins fini. C’est vraiment les prémices. Presque le premier point de rendez-vous entre l’acteur et son personnage. Je crois même que c’était la première fois que Filippo nous entendait le dire à voix haute. C’est marrant que les spectateurs soient là. Incroyable.
Oui, c’est contraignant. J’avais instinctivement besoin de me mettre de profil. Je me demandais : est-ce que les gens restent concentrés tout ce temps ? Est-ce que les images viennent ? On est sur un fil.
Ça se fait souvent, mais ce n’est pas obligatoire. J’aime quand les réalisateurs ou réalisatrices le font. Ça permet de se rencontrer, de rentrer dans ce que va être la couleur du film, de pouvoir poser des questions. On peut le faire en privé avec le réalisateur, ou en groupe, ce qui permet d’avoir une perspective plus vaste de ce qu’on va tourner. Sur la série Le Bureau des légendes, Éric Rochant mettait un point d’honneur à ce que, pendant deux semaines avant chaque saison, il y ait des lectures. Tous autour d’une table, chacun avec son personnage, pour discuter, lire, jouer, rentrer dans les rôles. C’est aussi le cas pour un premier film, pour lequel on ne sait pas quels moyens on va avoir. On ne peut pas faire deux cents prises en hésitant. Il vaut mieux prévoir en amont.
On y fait toujours des lectures. Mais on ne lit pas forcément les didascalies. On joue les rôles. Le théâtre, c’est souvent du dialogue. Le film de Filippo Meneghetti est rempli de choses qui sont un peu impressionnistes, sur le silence, sur des observations, sur des choses sensitives, d’autant plus qu’un personnage finit par ne plus trop parler. C’est beau. Il y a du littéraire dans son écriture. Il faut animer ça et le rendre visuel.
Oui, très « face public ». Michel Fau a un style un peu baroque, très singulier, pas hyperréaliste. Par contre, il exige, et il a tout à fait raison et c’est en ça que ça marche, que le jeu, même s’il est très stylisé, soit tout à fait vrai. C’est merveilleux parce qu’on peut s’appuyer sur des références de jeu d’acteurs qu’on a aimés. Dans des films comme Quai des orfèvres de Clouzot, le jeu est particulier, appuyé, et c’est tout à fait profond, vrai, juste, sensible, tout ! J’adore ça, et Michel aussi. On s’est bien trouvés, parce que c’est tellement particulier et rare de pouvoir faire ça. Au théâtre, on peut se permettre beaucoup de choses, avec énormément de place pour l’imagination. Le cinéma, c’est différent. On peut, mais il faut souvent beaucoup de moyens pour faire des choses très stylisées. C’est une autre contrainte. Certains le font, comme Almodovar. Ses actrices et acteurs sont géniaux. Et il y a quelque chose d’hyper- sincère chez lui, toujours organique, émotionnel. On pense toujours qu’il faut faire des choses hyperréalistes, mais la vie est dingue. Il faut trouver des personnages qui ont de l’ampleur.
Complètement barjot, très psychanalytique, très argentin. Pas très éloigné d’Almodovar, mais encore plus tordu. J’aimais bien cette pièce parce qu’elle était en apparence incompréhensible, et en fait très profonde. Les Argentins sont comme ça, un peu barrés, mais ils racontent des choses qui ont du sens.
C’est hyper-dur. Ça ne se fait pas comme ça. Si vous connaissez le travail du metteur en scène, ses spectacles et son univers, vous savez que ça peut aller dans plein de directions possibles, mais c’est dur de trouver la vérité. Ça demande du travail, de la recherche et de l’engagement. Si ça reste extérieur, le spectateur s’ennuie.
Oui, mais je suis complexée. C’est compliqué pour moi. Je pense que j’ai les capacités d’écrire. Je ne sais pas si ce serait bien. Mais je suis vraiment ralentie par un complexe d’infériorité, par rapport à d’autres choses que j’ai lues, probablement. J’aimerais m’en débarrasser. Ce qui compte, c’est de pouvoir trouver un autre moyen d’expression. La vie, la route est longue, enfin j’espère. J’aimerais aussi réussir à m’exprimer là-dedans.
Oui, je vois ce que vous voulez dire, et en même temps ça fait longtemps que j’attends. De voir plein de choses. Le temps est un concept important dans le métier d’acteur. Il y a des comédiens qui doivent faire du temps un allié. Je pense que c’est mon cas. Tout s’est fait un peu tardivement, mais tout ce qui s’est passé est très riche et dense. J’ai fait des choses assez différentes, je ne sais pas ce qui se passera demain, mais avec Jusqu’à la garde, je suis arrivée là, et ce qui se passe est merveilleux, et correspond à des désirs de cinéma que j’ai depuis longtemps, et qui peut-être n’arrivaient pas. Bien sûr qu’il y a parfois de la frustration, mais j’ai eu la chance de faire plein d’autres choses. Tout d’un coup, un jeune réalisateur que je ne connais pas pense à moi en écrivant son court-métrage. Il a vu des choses, il a cru en moi et je lui ai fait confiance pour ce court. Et on a continué ensemble pour le long. C’est un peu la magie du cinéma. On croit que les choses n’arrivent pas assez vite, et elles viennent d’un endroit qu’on n’imagine pas, comme quand Mathieu Amalric me contacte pour jouer dans La Chambre bleue, alors qu’on ne se connaît pas, et ça c’est génial. Ces choses vous donnent énormément d’élan. À côté, il y a le théâtre, qui est très concret, avec l’enjeu de rencontrer le spectateur chaque soir. Le cinéma, c’est un mystère. On ne sait pas pourquoi d’un coup quelque chose prend.
J’en suis un peu émerveillée. Quand j’ai rencontré Xavier, j’étais au théâtre de l’Atelier à Paris, où je jouais avec Gilles Cohen une pièce qu’on adorait et qui ne marchait pas du tout (Mer de Tino Caspanello en 2011). On vivait un moment un peu déprimé. Xavier arrive avec son projet de court-métrage, Avant que de tout perdre, je lis le scénario et je suis cueillie. Il me parle de sa vision du cinéma, de comment il veut mettre en scène, avec peu d’effets. Comme dans ce film roumain que j’avais adoré, 4 mois, 3 semaines, 2 jours, ou par des actions très concrètes, presque ordinaires, Cristian Mungiu raconte Bucarest en 1987, l’oppression communiste de Ceausescu, à travers deux filles, dont une qui essaie d’avorter. C’est un film d’action, avec très peu d’effets. Un drame réaliste et un drame social devenant un thriller éprouvant, un film de genre. J’adore ça. Durant mon parcours, je me disais : voilà un film dans lequel j’aimerais être, que j’aimerais faire.
C’est formidable de jouer tout ça. Ça me nourrit. Tout se nourrit. Des styles et univers différents. Sur le film de Xavier, j’avais souvent l’impression de ne rien faire. Mais je lui faisais confiance. Je savais qu’il filme très bien puisqu’on avait fait le court. Il fallait absolument que je me fasse confiance. Ne rien faire, c’est aussi raconter beaucoup de choses. J’ai un peu de vécu maintenant. Au cinéma, on peut se permettre ça. On raconte énormément parce qu’on laisse un peu l’humanité apparaître à travers le personnage. Les films que je regarde maintenant, les acteurs que j’observe au cinéma sont assez minimalistes, puissants, et de temps en temps capables de faire des choses burlesques. Glenn Close est une actrice de référence pour moi, parce que c’est une femme capable d’une grande démesure, mais parfois elle ne bouge pas, et à travers son visage, on entend les dialogues, sa pensée. Au fur et à mesure, j’essaie de simplifier.