Sorti en France en juillet dernier, le premier long-métrage de Kamal Lazraq est une sacrée révélation. Et une confirmation après ses courts-métrages Les Yeux baissés, Drari et Moul lkelb, l’homme au chien. C’est un road movie nocturne dans les marges de Casablanca. Un thriller décalé, où les ombres et les spectres planent. L’odyssée âpre et fascinante d’un buddy movie familial, entre un père et un fils, dont les rapports de force s’inversent. Révélé au dernier Festival de Cannes, où il a reçu le Prix du jury Un Certain Regard, Les Meutes vient d’emballer la présidente Jessica Chastain et ses juré.e.s du 20e Festival de Marrakech, qui lui ont également attribué leur Prix du jury ce samedi 2 décembre. Le cinéaste évoque cette première marocaine, arabe et africaine, le parcours de son film, et l’état du cinéma dans son pays.
Le distributeur français Ad Vitam a voulu sortir le film très vite après Cannes, le 19 juillet. Ensuite, Les Meutes a circulé dans de nombreux festivals à travers le monde. Je l’ai un peu accompagné, mais pas trop non plus, car c’est très chronophage, et j’avais envie d’enchaîner assez rapidement sur un deuxième projet. Mais c’était intéressant de voir les différents accueils en fonction des pays, des cultures, et c’était rassurant que le film soit compris en Roumanie, en Chine ou au Brésil.
Ici à Marrakech, c’était très particulier, car c’était la première au Maroc. La première fois que le scénario avait été lu par des professionnels, en dehors de la société de production, c’était durant les Ateliers de l’Atlas du Festival de Marrakech, où on avait été sélectionnés en 2019. Le film a été lancé par ces ateliers, grâce aux regards extérieurs professionnels, très expérimentés et d’un très grand niveau. Cette participation a apporté une belle accélération au projet. Revenir au festival avec le film fini, c’est une manière de boucler la boucle. Pour certains acteurs et pour les techniciens marocains, c’était aussi l’occasion de le découvrir pour la première fois. Les comédiens étaient plus stressés ici qu’à Cannes, car l’enjeu était plus émotionnel avec le public marocain. Il y avait beaucoup d’appréhension. Mais la salle a bien réagi et les retours sont plutôt positifs. C’est un soulagement et une belle expérience.
Bien sûr, surtout que le film a été tourné avec des acteurs non professionnels, dans des décors naturels. Il y a quelque chose de très brut et authentique, que les Marocains, notamment ceux qui connaissent bien Casablanca, ne pensaient pas voir filmé dans ce type de lieux avec ce genre d’interprètes. Ils ont été assez impressionnés par la prestation d’Ayoub Elaid (Issam, le fils) et Abdellatif Masstouri (Hassan, le père), qui ont des visages que l’on n’a pas l’habitude de voir au cinéma. Sans compter certaines références culturelles et sociales très spécifiques au Maroc, notamment dans les dialogues. Le public marocain a un niveau de compréhension du film un peu plus profond qu’un public moins proche de la culture marocaine.
Cela s’est décidé il y a quelques jours. Il y a un distributeur marocain et une sortie prévue fin janvier dans les salles marocaines. Nous attendions la présentation au Festival de Marrakech, et cette première régionale, dans le monde arabe et sur le continent africain, pour sortir le film ici.
C’est vrai que c’est étonnant. Nous avions un cinéma africain, voire arabe, assez naturaliste, avec souvent des thématiques très sociales, très ancrées dans la réalité. Ces dernières années, nous voyons l’émergence de films qui n’hésitent pas à aller vers le genre. Je ne sais pas trop comment l’expliquer. Mais c’est réjouissant, car cela permet d’avoir un regard neuf et, pour le public de ces pays, de voir que l’on peut s’emparer différemment de certains récits. Au Maroc, il y a une vraie émulation sur ce sujet. Les jeunes réalisateurs n’hésitent plus à explorer des territoires restés inconnus, comme Burning Casablanca, qui a un style très particulier, ou la science-fiction d’Animalia. On n’avait jamais vu un film comme ça au Maroc. Cela crée une belle énergie, qui ouvre l’esprit et donne une certaine liberté. C’est très positif pour la nouvelle génération.
Il est vrai que quand on monte un film marocain, pour avoir un budget suffisant, et qui permette une qualité qui puisse s’exporter à l’étranger, on doit passer par les coproductions, avoir différents partenaires, et solliciter des fonds internationaux. Il y a ces dernières années un véritable intérêt pour le cinéma marocain et pour les nouvelles formes de récit. Le Moyen-Orient a également créé des fonds de soutien au Qatar ou en Arabie Saoudite, pour soutenir le cinéma arabe. On sent une attente d’être emmené ailleurs et de voir autre chose que le cinéma africain classique.
C’est une production majoritairement marocaine, coproduite avec la France et la Belgique, et avec un fonds de soutien qatari et un fonds saoudien. Trois pays coproducteurs et deux fonds de soutien moyen-orientaux.
Le Maroc a la chance d’avoir un système qui fonctionne plutôt bien. Une vingtaine de longs-métrages sont produits tous les ans. Pas mal d’entre eux circulent dans les festivals internationaux et sortent à l’étranger. On a aussi vu une belle présence marocaine au dernier Festival de Cannes, avec Déserts de Faouzi Bensaïdi (Quinzaine des Cinéastes), La Mère de tous les mensonges d’Asmae El Moudir et Les Meutes, primés tous les deux à Un Certain Regard. Il se passe quelque chose, sans compter les nouveaux projets qui arrivent. C’est une belle période pour le cinéma marocain.
Malheureusement, de nombreuses salles ont fermé. Il y avait une vraie culture de la salle de cinéma il y a quelques décennies au Maroc, avec un écran dans chaque quartier. C’était quasiment un rendez-vous populaire, avec du cinéma égyptien, du cinéma indien, du cinéma d’arts martiaux, à côté de productions plus classiques. Il reste aujourd’hui un petit maillage dans les grandes villes, et très peu d’écrans dans les petites villes. Certains acteurs du secteur essaient d’y remédier, en ouvrant des cinémas, notamment avec des prix modérés. Il y a une tentative de dynamiser ce réseau au Maroc. Mais ce n’est plus trop dans la culture, comme cela l’était avant. C’est dommage quand on est cinéphile.
Propos recueillis par Olivier Pélisson
Voir aussi notre compte-rendu sur le dernier Festival de Marrakech 2023