Comment celles et ceux qui réalisent vivent-ils le second confinement hexagonal, annoncé le 28 octobre dernier et mis en place quarante-huit heures plus tard ? À l’heure où les salles de cinéma sont fermées, où certaines sorties de films ont été écourtées ou annulées, en attente d’une date ultérieure, et où le processus de création est impacté, BANDE À PART prend des nouvelles de jeunes cinéastes.
Après une série de courts-métrages remarqués, Just Philippot a réalisé La Nuée, son premier long-métrage, sur un scénario de Jérôme Genevray et Franck Victor, alliant portrait de femme, chronique familiale, réalisme social, épopée agricole et film d’invasion fantastique. Il développe actuellement son précédent court-métrage Acide en long-métrage, arrivé à une version 2 du scénario. Un autre récit apocalyptique.
La particularité de La Nuée est que les coproducteurs en sont aussi codistributeurs. Thierry Lounas de Capricci et Manuel Chiche de The Jokers Films sont vraiment les deux personnes avec qui j’ai fait le film. Ils ont été très courageux, même s’il pouvait y avoir de l’angoisse à l’idée des couvre-feux, en disant : on ne lâche pas. Ils sont restés très fidèles à leur position. Tout un travail de fond a été fait, notamment la journée presse du jeudi 29 octobre, avec des journalistes un peu emmerdés, qui faisaient le job, mais se demandaient comment les choses allaient évoluer. C’était très étrange, mais on a vécu la journée à fond. On a présenté le film au CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) le soir-même, avec un dispositif pour faire parler des films et les aider en vue des sorties en salle. C’était une projection avec un épigénéticien, pour discuter des travers de cette agriculture, si jamais on devait l’intensifier, et de la façon dont les choses pouvaient évoluer. Le gars a littéralement flashé sur La Nuée, en disant que cela pourrait vraiment exister. J’ai aussi accompagné ma dernière avant-première à Tours le jeudi soir, et j’ai fini cette première phase de communication hyper-intense avec l’arrêt brutal du second confinement.
C’est super-plaisant parce que je ne suis pas devenu alcoolique, avec tous ces mouvements, l’engouement extra-film et les fêtes qu’il y aurait pu avoir ! Cela m’aurait pris beaucoup plus d’énergie. Les choses se sont faites de façon plus intime. Typiquement, à Sitges, la salle de 1500 places arrivait à une jauge de 350 maximum. J’avais l’impression que les gens étaient un peu apathiques, par rapport au côté électrique du Sitges que j’avais connu, mais il y avait une sorte de confort où ils étaient sereins, sans stress. Je crois que, mine de rien, je l’ai vécu à l’échelle de toute la sortie. Le fait que les protocoles sanitaires soient aussi lourds crée des choses très simples et intimistes. Il n’y avait pas de pot après les projections, c’est dommageable, mais les discussions se faisaient plus en salle, avec une forme de tempérance sur l’ensemble. Cela m’a permis de ne pas complètement quitter la réalité, et surtout de garder à l’esprit qu’il faut absolument que j’embraie sur d’autres projets.
Je n’ai presque pas perdu de temps dans cette phase de travail non payé, qui demande énormément, et qui finalement drogue à une adrénaline de l’instant, où on est concentré sur ce qu’on dit du film. Je me suis donc refusé de lire quoi que ce soit, parce que les deux ou trois fois où j’ai lu des choses, quand c’est bien, ce n’est pas assez bien, et quand ce n’est pas bien, ça fout un peu le moral dans les chaussettes. Être autocentré sur un film dont on parle pendant X temps, et vivre un tel moment un peu à part et déséquilibrant, permet aussi de sortir de sa promotion en ayant à la fois la niaque, parce qu’on a besoin de bosser, et en n’étant pas complètement lessivé ou impacté par une vie qui n’est pas vraiment la sienne. Donc je le vis relativement bien.
Oui, et en même temps, ce que nous vivons est tellement hors normes et plus fort que la fiction, dans l’effet au long cours. On alterne des phases un peu étranges. J’ai deux enfants, et finalement, comme j’écris la plupart du temps, je suis déjà confronté à un confinement permanent. Mon emploi du temps avant La Nuée était de déposer mes enfants à l’école, d’aller les chercher, et de travailler comme intervenant et éducateur à l’image aux ateliers avec les jeunes de Ciclic, l’agence de la région Centre-Val de Loire pour le livre, l’image et la culture numérique. J’étais beaucoup lié à des développements derrière mon ordinateur. L’écriture n’est pas quelque chose de très agréable, enfin, ce n’est pas désagréable, mais c’est une espèce de temps en dehors de la réalité. Le plus perturbant aujourd’hui, c’est d’être dans une incertitude du lendemain, de quelque chose qui va peut-être complètement changer. Ce matin, j’avais un rendez-vous autour d’une série, pour éventuellement parler d’un développement. On ne parle tous que de la fragilité du cinéma. Sans en parler de l’ordre du passé, il y a quand même une perception un peu étrange sur ce qu’il va devenir. Ce qui est perturbant aussi dans cette période, c’est que les angoisses extérieures rejoignent les angoisses plus intimes et intérieures, qui étaient le lot de mon quotidien. Et puis les protocoles à l’école changent, avec même des scènes parfois relevant du cinéma d’anticipation. Je ne pensais pas qu’un jour je pourrais retrouver dans le réel l’urgence de mes films. Quand j’ai écrit Ses souffles, je pensais forcément à la précarité, à notre précarité, surtout à celle d’un intermittent et de quelqu’un qui n’a jamais eu beaucoup de thune. Avec mon documentaire Gildas a quelque chose à nous dire, c’était une précarité émotionnelle, dans un film qui traitait d’une force de mouvement et d’un cinéma allant vers le genre. J’ai écrit ces récits pour rester à distance, et actuellement, il n’y a plus de distance !