Elle était la Présidente du jury du dernier Festival du film romantique de Cabourg. Juliette Binoche évoque avec nous les émotions exacerbées, les sensations liées à son métier, mais aussi l’acte de création, les mouvements et la danse. Rencontre avec une actrice lumineuse au rire tonitruant.
Le romantisme, c’est un mot, on met ce qu’on veut derrière. Il faut revenir à sa naissance, au XIXème siècle, avec les auteurs qui n’avaient pas peur de rentrer dans leurs affres, dans leur intimité, dans leurs sentiments, souvent exacerbés. Il y avait l’idée de rentrer dans du néant, dans un trou, de traverser en tout cas ces émotions-là. Ce qui est assez courageux. Beaucoup fuient les émotions. Mais ceux qui ont le courage d’y entrer, entrent dans un lieu de transformation. Un lieu qui nous fait passer de l’état animal à un état plus humain.
Aujourd’hui à Cabourg, Festival du film romantique, le mot a perdu de cette connotation. Mais il y a toujours un lien, qui est de mettre au centre des films la question d’éprouver ces sentiments. L’amour, aussi bien lorsqu’on est aimé que rejeté ou trahi, le romantisme au cinéma, c’est tout ce qui peut faire vivre le cœur.
Le romantisme est dans tous les arts, pas forcément au cinéma, c’est une expression de l’être. L’artiste a une obligation de s’ouvrir et faire naître en lui d’autres parties de lui, jusque là inconnues, invisibles, perdues dans un inconscient. Et cela résonne en nous. C’est pour cela aussi qu’on a besoin des artistes : parce qu’ils nous permettent de vivre et de reconnaître en eux une partie de nous-même, et de l’éprouver.
Je crois qu’on est tous artistes. Il ne faut pas essayer de partager les gens. Maintenant, si on veut développer cette partie de nous, c’est un choix. On peut tous développer une partie artiste en nous, prendre un risque vers le nouveau, on doit bien avoir tous en nous quelque chose de l’ordre de la création. Il faut écouter, le faire durer. Il y en a qui trouvent leur forme artistique à travers le tricot ; un boulanger, ce sera sa façon de faire son pain. Chacun a une façon de faire quelque chose qui l’élève. Quand on est élevé dans une expression, qu’on donne du plus que nécessaire, il y a une possibilité d’art.
On ne fait jamais le tour. On peut faire le tour du monde, mais le tour de nous-même, c’est plus difficile. Il y a toujours des choses nouvelles, et si on ne les voit pas, il faut les créer. Mais c’est pour ça que de rencontrer des projets nouveaux, des êtres et des lieux nouveaux permet de former des étincelles. Je peins… Parce que la peinture, je l’ai toujours aimée, enfant. J’étais dans un milieu où on laissait le temps aux possibilités d’art, j’ai été chanceuse. Mais il suffit de prendre un livre, d’aller sur Internet, de copier, de se mettre en mouvement…
Il y a une construction dans une vie, et une destruction. On est sans arrêt dans un cercle infini, un mouvement de prendre et de lâcher. Parce qu’il y a une évolution de toutes les façons, on ne peut pas vivre comme il y a dix ou vingt ans. Ceux qui se raccrochent au passé et ont toujours envie que tout soit pareil, ils ne sont pas dans le mouvement de la vie. Parce que, même en nous, il y a des différences. L’accomplissement, pour moi, se trouve dans le fait d’abandonner l’idée de penser qu’on a le pouvoir, qu’on peut posséder, toujours jouir de tout. Je pense qu’à un moment donné, on passe à une autre forme de système, de satisfaction.
C’est plus libérateur. On est moins accroché à des choses qui sont plus illusoires et passent avec le temps. Le pouvoir… Regardez les personnes âgées : quel pouvoir ? La possession ? On n’emporte rien dans sa tombe. Il y a des changements de valeurs qui font que, si on l’accepte, on peut faire une petite dépression, parce qu’on n’est plus qui on pensait être, mais elle vous permet de passer à un autre système de valeurs. On se sent plus libre et moins dans une résistance qui fait souffrir.
Ce n’est pas un métier, c’est un choix de vie. Au départ, c’est vraiment l’endroit où j’étais le plus heureuse. Même si ça me vaut de devoir descendre dans les méandres de l’humanité, cette idée n’est parfois pas évidente. Mais c’est aussi une chance d’avoir pu reconnaître assez tôt ce pourquoi j’étais faite, destinée ; même si ça peut changer et que j’ai fait d’autres choses, j’ai l’impression d’avoir éprouvé la vie dans le meilleur sens du terme, c’est-à-dire de l’avoir vécue. Je n’ai pas de regrets, pas envie de revenir en arrière, d’avoir 20 ou 30 ans, parce que je les ai vraiment vécus. Je n’ai pas de regrets dans ce sens là. Et même d’éprouver des douleurs, on ne les regrette pas, parce qu’on les dépasse et qu’elles vous ont, finalement, appris quelque chose.
Je pense qu’on peut choisir. Il y a des possibilités et c’est à nous de choisir. Et je pense qu’il y a une rencontre de soi à soi que la vie vous donne.
Parfois oui. Parfois on est forcé à quelque chose et c’est terrible. Mais les vraies portes sont intérieures. Évidemment, on a des épreuves par l’extérieur et des portes qui s’ouvrent et c’est formidable. Mais les vraies ouvertures, qu’on a jusqu’à la fin de ses jours, elles sont intérieures. Ce n’est que là qu’on peut miser.
C’est un formidable moteur quand on a soif de connaissance de soi et des autres, de ce pourquoi on est là, sur terre. Jouer, c’est une chance, parce qu’à travers les personnages, les analyses de textes, les histoires, les rencontres avec les gens, on est vraiment sur une sorte de grill où on doit sortir de soi. Ça doit fumer, ça doit brûler. Pour moi, c’est un formidable moyen de connaissance.