Entre mer et ciel

Conversation avec José Garcia, acteur, pilote, aventurier

Son énergie, sa vitalité, l’avait conduit à dynamiter le petit écran, puis à investir le grand, où ses excentricités surent aussi céder la place au jeu intériorisé. José Garcia est un homme d’amplitude. Dans Fonzy (adapté du long-métrage québécois Starbuck), son épouse Isabelle Doval l’envisage dans le rôle d’un père biologique à la vertigineuse descendance, qui s’improvise ange gardien de sa vaste progéniture. Le film a inspiré ces premières questions, puis la conversation a dévié vers un voyage inopiné.

MATHÉMATIQUES

Vous qui avez une formation de comptable et qui jouez aujourd’hui le rôle d’un père de 533 enfants, quel est votre rapport aux mathématiques ?!

Formation de comptable… faut le dire vite ! Mon rapport aux maths est nul ! J’adorerais maîtriser cette science, mais ce n’est pas du tout le cas. Mon cerveau n’est pas mathématique. Ce qui se rapporte aux maths est une vraie contrainte pour moi, car mon cerveau ne fonctionne pas dans la rationalité. Je crois, en fait, qu’il n’y a qu’un hémisphère performant chez moi : le plus primate, celui qui correspond au plaisir ! Cette partie-là est allumée tout le temps chez moi. Il faut qu’il y ait jouissance permanente et de ce point de vue-là, le personnage de Fonzy est proche de moi ! Ma chance, c’est que grâce à cela, je m’autorise à faire beaucoup de choses irrationnelles. Dans mon métier, j’essaie justement de préserver tout ce qui n’est pas mathématique, tout ce qui relève de la transgression, du dépassement de soi, de la fantaisie.

Avez-vous le vertige ?

Pas du tout.

Entretien avec José Garcia

ANGE GARDIEN

Avez-vous un ange gardien ?!

Je crois, oui, et je crois qu’il est très bon ou qu’ils sont très bons. Dans le lot, il y en a un qui a été mon ami et qui a disparu. Depuis, j’ai l’impression qu’il est toujours là et qu’il me sauve de pas mal de coups, car je suis de plus en plus versé dans les sports extrêmes et dans des choses assez particulières.

C’est-à-dire ?

Tout ce qui vole et qui est dans les éléments. Je fais du surf, du kite dans les vagues. Je pilote. J’ai commencé le paramoteur, avec l’aile et le moteur dans le dos. Je fais de la voltige aérienne. J’aime l’océan hard ou le ciel. Ce sont mes deux éléments. A croire que sur terre, je me sens un peu pataud !

AVIATION

Une simple promenade sur le plancher des vaches, ce n’est pas votre truc...

Rien n’est vraiment simple avec moi ! Il faut qu’il y ait de l’adrénaline. Quand je fais du vélo, c’est du VTT dans des descentes. Je ne joue pas au tennis, je joue au squash. Il faut toujours qu’il y ait quelque chose d’excessif, d’extrêmement ludique. J’aime aussi beaucoup la glisse. J’ai des planches électriques, car j’aime quand ça va vite. Et depuis que j’ai découvert l’aviation, alors là… J’aime être en relief.

Comme Albert Dupontel*, vous avez vos brevets de pilote ?

Oui, j’ai maintenant six qualifications sur plusieurs avions. J’attaque le paramoteur, car je suis arrivé au bout de mes brevets de pilote. Mon rêve désormais, c’est de piloter des hydravions et de finir mon vol de nuit pour avoir la qualification. Mon prochain projet est d’aller à Nancy faire un stage de parapente, au cas où l’aile du paramoteur se couperait. C’est un stage extrême qui va forcément m’ouvrir sur d’autres trucs. Mais la joie de voler, c’est exceptionnel.

*voir Bande à Part n°8, page 13.

Entretien avec José Garcia

LIBERTÉ

Sauriez-vous dire pourquoi vous aimez tant ces sports extrêmes ?

Je ne suis pas quelqu’un de téméraire, je n’aime pas me faire mal, mais j’aime ces sports-là parce qu’ils me demandent de bien anticiper, de bien préparer. C’est ce que j’aime aussi dans le cinéma. J’aime prendre des risques, mais j’aime concevoir ces risques pour qu’ils ne soient pas absurdes. Je ne suis pas casse-cou. Je fais des choses extrêmes de façon très concentrée. C’est ce qui me donne ce sentiment de liberté. Et c’est l’entraînement qui m’offre ces sensations incroyables. C’est pour atteindre ces buts que je m’entraîne dur. Je me remets à niveau. J’ai toujours des gars très bons à côté de moi qui m’aident à progresser. Tant que je progresse, que j’apprends des choses extraordinaires dans ma vie, je garde le plaisir dans mon travail, j’arrive sur les plateaux avec une vie nourrie. En fait, il faut que ma vie personnelle soit toujours beaucoup plus riche et importante que ce que je fais au cinéma. Ce que je fais au cinéma représente 20% de ma vie. Mon ami Benoît Poelvoorde, qui lit énormément, est un voyageur immobile. Moi, je suis toujours en mouvement. Lui lit des romans, moi, je construis ma vie comme un roman. Je m’assois très peu pour lire, car je veux vivre mes journées dans l’action et de manière très intense, extrême, avec une fantaisie sans limite.

Par exemple ?

Je peux partir en avion avec des amis que j’emmène déjeuner en Bretagne et de la Bretagne, je leur propose d’improviser un vol vers Biarritz. J’ai toujours une idée, je connais toujours quelqu’un quelque part… De proche en proche, on pourrait finir au Pernambouc avec moi !

BOUSSOLE

Êtes-vous matérialiste ?

Oui, dans le sens où j’ai tout un matériel utilitaire qui me permet de faire ce que j’aime. J’aime bien être équipé pour pouvoir anticiper. J’utilise pas mal de jouets, comme une montre antichoc qui me permet d’aller dans l’eau, de faire du paramoteur. J’ai un couteau, un kit de survie, etc. A la maison, mes trois filles se fichent de moi, car elles ont le sentiment de vivre avec un aventurier. Le jour où j’ai acheté ma lampe frontale, elles étaient mortes de rire ! N’empêche qu’un jour, nous étions au Canada, un truc s’est mis à faire du bruit et grâce à ma lampe frontale, j’ai vu que c’était un énorme porc-épic à qui j’ai explosé la gueule pour qu’il se barre, sinon tout le monde hurlait ! Je suis revenu en grand vainqueur, avec ma lampe frontale !

Aimez-vous les boussoles ?

J’adore ça ! C’est une passion chez moi. Enfin, le déplacement est une passion. Ça me fascine : la survie, le fait de me repérer dans l’espace. Tout cela, je ne savais pas le faire avant. Ça m’intéresse tout le temps. Je suis fasciné par les hommes du désert qui se repèrent simplement aux étoiles. Je rêve d’y parvenir, car je trouve déstabilisant de ne pas savoir le faire.

Entretien avec José Garcia

CONTEMPLATION

Avez-vous déjà fait l’expérience du désert, la nuit ?

Non. J’ai déjà tourné dans le désert, dans Vive la France ou Le Boulet. J’ai eu des sensations extraordinaires en courant dans des tempêtes de sable – courir dans le désert, pour le plaisir, c’est vraiment génial ! Depuis que j’ai mon permis bateau, je me sens beaucoup mieux, car j’ai la possibilité de mieux me déplacer encore. Donc les déserts, les banquises… ce sont des projets !

Vous arrive-t-il d’être dans la contemplation des choses ?

Ça m’arrive. En fait, il y a des choses que je ne fais pas et que je garde pour plus tard. Je suis en train de me préparer, déjà maintenant, pour le jour où je ne pourrai plus bouger autant. Je récupère beaucoup d’informations auprès de mes pairs, des acteurs plus âgés que moi, par exemple. Je sais bien qu’à un moment, le corps vous dit stop. Moi qui aime tant l’adrénaline, qui aime être planté dans la vie, dans l’énergie, à un moment donné, je ne pourrai plus faire ça. Je me prépare doucement, aussi, à la lecture, à la philosophie, pour pouvoir être apaisé et évoluer correctement, heureux.

PHILOSOPHIE

Quelles sont vos premières pistes de lecture ?

Ollivier Pourriol, par exemple. J’ai un ami philosophe qui me donne des traités, avec qui on parle. Ma femme Isabelle est très tournée vers l’humain, elle me fait beaucoup évoluer. Il y a aussi la foi, la nature, l’écoute de soi. Ça ne me fait pas super plaisir d’y penser, parce que j’ai encore envie de profiter beaucoup, mais je sais que je dois anticiper pour ne pas souffrir, tourner en rond et être très malheureux.

Avez-vous vu Le Scaphandre et le papillon de Julian Schnabel ?

Oui ! Alors ça, c’est la grande hantise : être prisonnier de son corps… C’est là où il faut avoir un mental d’acier. Je ne suis pas sûr, moi, d’avoir un mental très fort. Avec un mental fort, on peut aller beaucoup plus loin qu’avec un physique. Et ça, ça me fascine.

Connaissez-vous Ne me libérez pas, je m’en charge, le portrait de Michel Vaujour filmé par Fabienne Godet ?

Non. Qu’est-ce que c’est ?

L’extraordinaire récit d’une libération intérieure...

Ça m’intéresse énormément. Je vais me le procurer.

Entretien avec José Garcia

ÉMERVEILLEMENT

Quel impact ont concrètement toutes vos expériences sportives sur votre métier d’acteur ?

Ça a un impact sur mon moral, sur le plaisir que j’ai de travailler. Une chose m’importe beaucoup depuis longtemps : ne jamais perdre le plaisir dans mon travail. Mon métier est une passion, mais j’ai vu aussi beaucoup de gens entrer dans le cynisme ou l’embourgeoisement. Ce sont des dangers pour les acteurs qui sont sur le front d’un film et qui doivent assumer les choix de quelqu’un d’autre. C’est aussi pour cela que je fais des sports où je dois être dans la maîtrise, où c’est moi qui décide. Je veux garder ce plaisir vital, mon envie, la joie, l’émerveillement.