Faye Dunaway ouvre à Lyon le festival Lumière 2014. Elle fut la muse, actrice et modèle de Jerry Schatzberg, 87 ans, cinéaste et photographe, ami fidèle du festival qui projette son premier film, Portrait d’une enfant déchue (1970).
La vérité. Mais je laisse les exégètes le dire. Avec leurs regards extérieurs, ils voient des choses que moi-même je ne vois pas. Je ne sais pas dire s’ils ont raison, tant notre subconscient se joue de nous.
Quand vous posez une caméra ou un appareil photo face à un paysage, sans intervenir, c’est une forme de vérité. Ou d’authenticité, si vous voulez. C’est la seule chose qui vaille vraiment. Quand j’ai commencé dans la mode, les images se faisaient passer pour vraies, mais on était dans l’artifice et les modèles prenaient des poses stéréotypées. Je passais des heures à tenter d’y échapper, je les faisais rire, par exemple, et je prenais des photos presque à leur insu, pour saisir le moment où elles n’auraient plus conscience de l’image. Je cherchais une vérité.
Il faut essayer de saisir la personne de l’intérieur, dans ce qu’elle a de plus profond. Cela vient avec le temps, les années d’expérience. Il faut l’amener vers une forme de liberté, d’abandon, de plénitude, afin qu’elle puisse se révéler elle-même. Cela peut passer par la parole. Plus vous parlez, plus vous êtes à l’aise, plus vous avez confiance. Le documentaire de Martin Scorsese sur Bob Dylan, No Direction Home, éclairait cela de façon exemplaire. Il a été construit sur la base d’une dizaine d’heures de conversation de Dylan avec son manager, Jeff Rosen. Dylan ne fait confiance à personne, à l’exception de son manager : il approchait sa vérité.
J’avais écouté sa musique et elle me plaisait. Nico m’avait parlé de lui et il commençait à être connu. Je connaissais aussi Sara Lownds, qui voulait être mannequin, et qui, un peu plus tard, deviendra sa première femme. Elle me parlait beaucoup de lui. Je lui avais lancé, un jour : « Dis à Dylan que j’aimerais le photographier ». Peu après, j’ai reçu un appel et elle m’a donné son accord. Je suis allé dans un studio d’enregistrement et Dylan s’est montré très cordial. J’ai fait les photos de studio, qui lui ont plu. Il m’a fait confiance.
Je cherchais à New York un endroit intéressant en dehors du studio. Nous avons été dans l’ouest de Manhattan, dans le Meatpacking district, qui n’était pas aussi chic qu’aujourd’hui. Il faisait très froid, il gelait même. Il a choisi des photos un peu floues, et les critiques l’ont interprété comme un trip, sous l’effet d’une drogue. Il n’en était rien. C’est juste qu’il faisait si froid que l’on tremblait. J’étais dans la vérité de l’image, ceux qui l’interprétaient étaient dans le mensonge.
Je ne sais pas, la plupart du temps. Dans le cinéma, il n’y a pas de règles pour savoir si une idée marche, ou pas. Mais je tiens le scénario pour essentiel. La technique est secondaire.
Je n’ai pas eu d’école, mais j’ai été inspiré par des films et des réalisateurs, comme Fellini par exemple. Regarder des films, c’est apprendre des personnages, des caractères, des mouvements, c’est apprendre à installer l’ambiance d’une scène.
Je suis heureux si je suis une source d’inspiration. Et les nouveaux réalisateurs m’intéressent, et je suis très attentif à ce que produit le jeune cinéma. Je ne comprends pas toujours les films de l’avant-garde, ni ne les apprécie forcément. Mais c’est la même chose pour mes films, cela dit : tout le monde n’apprécie ni ne comprend pas forcément !
Je connais bien Quentin Tarantino et j’ai une relation particulière avec Roman Polanski. Nous avions été proches, à une époque, à New York. Nous nous sommes rencontrés quand il est venu présenter Un couteau dans l’eau (1962) au Lincoln center. C’était son premier film et c’était la première édition du festival au Lincoln dont j’étais le photographe. J’ai vu ce gamin réalisateur sur la scène, humble, très simple avec le public et qui ne parlait pas très bien anglais. Son caractère m’a plu, son cinéma aussi. Je lui ai proposé de faire des photos pour Vogue, il est venu dans mon studio et notre amitié a commencé. Il aimait sortir et danser, je l’ai emmené dans ma discothèque, sur la 58e rue, à deux pas du pont de Queensboro. Je vois moins Polanski aujourd’hui, et comme dans de nombreuses amitiés, chacun est très occupé mais on a grand plaisir à se revoir.
Mon cinéma n’a pas toujours eu une très bonne réception critique, aux États-Unis. C’était différent en Europe, où la critique m’a soutenu. Avec le temps, les regards changent. Ressortir des films anciens en copie neuve, restaurée, permet d’être redécouvert par une nouvelle génération de spectateurs et de cinéphiles. Je n’ai jamais connu de très grands succès populaires, le public de mes films est limité, et si j’aurais aimé avoir le génie du succès de Spielberg, je ne l’ai pas eu.
Oui, j’ai un projet de film avec Guillaume Canet depuis quelques années. Il avait l’idée d’un gars dans un bar, impliqué dans un cambriolage. Dans sa fuite, il a heurté accidentellement un enfant qui traversait la route et il croit l’avoir tué. L’enfant meurt peu après en effet et il pense que c’est de sa faute. Mais l’enfant en réalité – il l’apprendra plus tard – est mort pour d’autres raisons. Ma version de l’histoire est différente : c’est bien lui qui tue l’enfant. Il rencontre plus tard la mère, catatonique, complètement vrillée. Ils se voient de plus en plus, il la sort, et ils finissent par tomber amoureux, ce qui était inattendu. Vient le moment où il devra lui avouer qu’il a tué son enfant.