Après avoir déjà travaillé en 2013 avec Bruno Dumont en incarnant le rôle de Paul Claudel dans Camille Claudel, 1915, Jean-Luc Vincent est à l’affiche de Ma Loute aux côtés de Juliette Binoche, Fabrice Luchini et Valeria Bruni Tedeschi. Une bonne occasion d’observer avec lui les méthodes de travail sur ce film pour lequel le cinéaste français est aujourd’hui en compétition à Cannes.
Il venait de faire le P’tit Quinquin qui montrait son envie de comédie et il m’a tout de suite indiqué que pour Ma Loute il voulait creuser le sillon, que cela l’amusait et l’étonnait beaucoup. Il voulait faire une comédie burlesque énorme avec des jeux qui se télescopent, qui touchent à différents registres. Pour mon rôle qui est celui d’un grand malade des nerfs, il m’a dit « c’est un véritable illuminé », « c’est un peu Paul Claudel mais dans une version idiote ». Donc c’était presque une continuité après Camille Claudel, 1915. Il voulait un jeu très outré, très théâtral au mauvais sens du terme, très casse-gueule. Le vrai défi c’était de trouver la vérité de cette outrance-là.
Il y a plusieurs niveaux parce que moi, par exemple, je n’ai pas une grande notoriété, alors qu’il y a aussi le niveau de « Star » comme Juliette Binoche. Bruno traînait cette réputation qu’il n’aimait pas les comédiens professionnels, mais c’est surtout le jeu avec des « trucs » qu’il n’aime pas. Par ailleurs nous sommes souvent assez mal dirigés car les metteurs en scène ont un peu peur des comédiens. Ce n’est pas le cas de Bruno, il n’a pas peur. En revanche, par rapport à un acteur non-professionnel, il considère que les comédiens ont davantage de virtuosité, plus de « touches » comme sur un clavier. Donc ce qu’il fait avec beaucoup de douceur, c’est déstabiliser le comédien pour que nous ne soyons pas dans une ambiance « trop confortable » au mauvais sens du terme.
Il parle beaucoup en amont du film, des personnages en parlant du scénario. Il fait souvent peu de prises et garde d’ailleurs souvent les premières. Sur Ma Loute j’ai eu le scénario, ce qui n’a pas été le cas sur Camille Claudel. Il ne le donne pas aux acteurs non-professionnels. Mais en réalité, on n’en a pas besoin. Il raconte l’histoire et les scènes. Les scénarios ressemblent d’ailleurs davantage à des romans qu’à de véritables scénarios. Pour Ma Loute, il m’a parlé du burlesque, de Max Linder… J’appréhendais beaucoup l’idée de dessiner une silhouette à mon personnage et de la tenir pendant tout le film. Comme j’ai tourné de manière discontinue, mes jours étant assez éparpillés sur les deux mois de tournages, j’ai beaucoup travaillé avec la costumière, les costumes m’ont beaucoup aidé. J’avais aussi un peu peur d’être parfois extérieur : il fallait oser jouer de manière très outrée, donc toujours de beaucoup proposer, et que Bruno sculpte à partir de cette matière. Nous nous sommes mis d’accord sur le fait d’en faire toujours trop en se reposant sur ses choix d’enlever ou de réduire le jeu. En réalité, c’est un peu à l’inverse de ce qui se fait habituellement au cinéma où on cherche à ne pas en faire trop (c’est comme cela que j’ai travaillé le rôle de Paul Claudel par exemple) alors que là, pour Ma Loute, au contraire, il fallait y aller dans la surenchère quitte à baisser ensuite. Enfin, j’ai été très attentif à la cohérence du groupe, qui s’est harmonisé naturellement. Sur ce tournage, je me suis énormément amusé.