Fidèles aux thèmes de l’utopie et du passage de la réalité à l’imaginaire, Paolo et Vittorio Taviani ne pouvaient qu’être séduits par l’idée d’adapter Le Decameron de Boccaccio, monument de la littérature italienne du XIVème siècle. C’est chose faite pour leur nouveau film : Contes italiens.
Plus encore et par-delà une translation de sept siècles, l’entreprise des frères Taviani est nourrie d’un désir de s’approcher de la jeunesse italienne contemporaine, de leurs maux et de leurs problématiques. Choisissant des comédiens inconnus (hormis Kim Rossi Stuart, génialement méconnaissable en benêt laideron ou la belle Jasmine Trinca, accablée de chagrin à cause d’un fils malade), les cinéastes vivifient au passage leur projet d’une sensualité nouvelle et de beaucoup de drôlerie. Sous leur apparente naïveté, les cinq contes véhiculent la pluralité des dérives qui nous préoccupent encore aujourd’hui (notamment les violences et les inégalités des sexes), donnant aussi des indices sur l’engagement et l’état de résistance nécessaire. Les qualités esthétiques accomplies, dont les notables variations de couleurs pour chaque épisode parachèvent l’écrin de ce beau film, à la fois hors du temps et bien ancré dans son époque.
Rendez-vous pris le 18 mai sur la terrasse S. Pellegrino La Cucina pour parler de Contes italiens : les frères Taviani semblent ravis d’être à Cannes en dehors de toute compétition, se remémorant allégrement le temps de Padre Padrone, où ils y firent sensation. Bien rodés au jeu des questions/réponses, c’est Paolo (85 ans) ou Vittorio (87 ans) qui, selon le thème, se plaît à répondre. En l’occurrence, Vittorio (l’aîné moustachu) est le plus vif quant à leur désir d’adapter Le Decameron de Giovanni Boccaccio : « Tout d’abord, je voudrais dire que, comme souvent dans notre cinéma, ce désir provient directement d’un souvenir issu de notre enfance, car lorsque nous partions en vacances dans notre pays, en Toscane, nous étions les voisins d’une maison qui nous impressionnait. Et il se trouve en réalité qu’elle avait été habitée par Boccaccio ! ». Quand on leur demande pourquoi ils sont tant attirés par l’Histoire de leur pays, Vittorio se rebelle quelque peu : « Oui, nous apprécions l’Histoire, mais nous aimons toutes les histoires, ce n’est pas lié à une nationalité et ce n’est pas l’essentiel de notre cinéma ! Surtout avec Boccaccio, nous voulions raconter une histoire aux jeunes de maintenant, qui vivent une réalité si difficile, pleine de dangers, de violence, de misère sociale, de chômage. Et puis, pour nous, c’était important de travailler avec une dizaine de jeunes comédiens en Italie, qui font ce métier et qui ont de moins en moins de travail ». Ont-il vu le dernier film d’Éric Rohmer (Les Amours d’Astrée et de Céladon), auquel Contes Italiens s’apparente en reprenant un texte ancien qui est pourtant resté moderne ? C’est Paolo qui s’anime cette fois : « Éric Rohmer ! Nous adorons Éric Rohmer, mais hélas, non, ce film, nous ne l’avons pas vu. La grande différence certainement avec lui, c’est que nous nous servons des œuvres pour nous inspirer et parler de nous, de nos désirs. La richesse de Boccaccio, son invention a servi déjà de nombreux autres réalisateurs, comme Pasolini, mais nous voulions en faire autre chose. Ce qui nous importait aussi, c’était que ces dix jeunes sortent de la réalité noire de la peste, qui est symbolique, et qu’ils passent à une dimension fantastique. » Produit majoritairement par la télévision italienne (la Rai), Contes Italiens leur a-t-il donné la sensation d’une totale liberté ? Vittorio lance son poing rageur et tout sourire, il crie : « LIBERTA ! Lorsque nous avons commencé à faire du cinéma, nous avons rencontré notre producteur Giuliani G. De Negri, qui est mort depuis. C’est lui qui nous a enseigné comment faire, une méthode qui vise à toujours garder l’essentiel de notre liberté. Et là-dessus, nous n’avons jamais rien cédé ! » De quoi nous rassurer : les doyens du cinéma italien se portent bien !