Fenêtres ouvertes sur la Quinzaine des Réalisateurs

Rencontre avec Edouard Waintrop, délégué général

Il est, depuis 2012, à la tête de la section parallèle du Festival de Cannes, La Quinzaine des Réalisateurs (dont Bande à part est partenaire). La patte Edouard Waintrop, c’est la place accordée à l’émotion, des premières œuvres qui côtoient celles de grands maîtres, et une ambiance chaleureuse, festive – oui, il n’est pas rare qu’il y ait de vrais moments de liesse à la Quinzaine.

Promenade en quelques mots dans ce qui fait l’essence et la réalité de cette section aujourd’hui. En attendant l’édition 2016 à Cannes, et la reprise de la programmation au Forum des images à Paris, du 26 mai au 5 juin, à l’Alhambra à Marseille, du 24 mai au 5 juin ou à la Cinematek de Bruxelles, du 4 au 10 juillet.

Tripes

« On choisit nos films avec nos tripes. L’an dernier, Fatima, c’est un film à la fin duquel je pleurais. C’est un plaisir qu’il fallait qu’on donne aussi aux spectateurs à Cannes. Mustang, on s’est levés à la fin du film et on s’est tous jetés sur nos téléphones pour appeler les gens et avoir le film. Ce sont des évidences. Cette année, on a choisi le film de Sólveig Anspach, L’Effet aquatique immédiatement après l’avoir vu. J’ai adoré ce film. Je trouve que Florence Loiret-Caille est une actrice qu’on ne voit pas assez, que Samir Guesmi, c’est Cary Grant dans les films de Hawks. Rachid Djaïdani, moi, j’étais un fan de Rengaine, qui était passé à la Quinzaine il y a quatre ans, et j’attendais de voir Tour de France. Et il se trouve que Rachid a fait des progrès immenses ! On était tous sciés après la projection. Il y a une ouverture sur l’extérieur qui est beaucoup plus grande que dans Rengaine. Il y a un amour des personnages plus visible. Quant au documentaire Les Vies de Thérèse de Sébastien Lifshitz, on a tous fini en larmes. C’est une histoire extraordinaire et Lifshitz est un as. On a choisi ces films avec nos tripes. Est-ce que le public nous suivra cette année, comme l’année dernière ? Ça reste à voir. »

Italie, la malédiction

« J’avais une sorte de malédiction avec le cinéma italien, car depuis mon arrivée en 2012, il n’y avait pas un seul film italien dans nos sélections. J’ai vaincu cette malédiction cette année ! Avec La pazza gioia (Folles de joie) de Paolo Virzì, Fiore de Claudio Giovannesi, l’histoire d’une jeune femme révoltée qui découvre la tendresse en prison. Fai bei sogni (Fais de beaux rêves) de Marco Bellocchio est un don du ciel ! Il a fallu convaincre Bellocchio, qui voulait la compétition ou rien ! Tout le comité était en larmes à la fin de la projection. On est restés dans l’incertitude pendant quatre jours. On a appelé les producteurs, on a fait appeler des amis, et à la fin du compte, Bellocchio a dit oui ! C’est un film magnifique sur l’absence de la mère, l’un de ses grands thèmes. Avec Valerio Mastrandrea, qui est un acteur immense, l’un des plus grands en Europe. »

© Droits réservés

Fidélité

« La fidélité n’est pas absolue. On n’est pas fidèles pour être fidèles. Mais Alejandro Jodorowsky, ça a été un choc avec La danza de la realidad qui a été accueilli à la Quinzaine par une salle délirante, standing ovation de cinq minutes. C’était dingue : moi, j’étais en larmes, saisi, et lui jubilait. Cette année, il fait la suite de ce film avec Poesía sin fin ; le jeune Alejandro est devenu plus âgé et affronte sa vocation de poète. Le film n’avait pas sa place ailleurs qu’à la Quinzaine. L’autre fidélité, c’est Pablo Larraín. Je le suis depuis Tony Manero. On avait accueilli No à la Quinzaine et c’était notre premier gros succès. Une amitié est née avec Pablo. Là, il arrive avec Neruda, qui est un film à la fois lyrique, sensuel et métaphysique. C’est un film fascinant. Et Larraín est, je pense, le meilleur de sa génération en Amérique Latine. Là, oui, il y a de la fidélité. Fidélité aussi au réalisateur indien Anurag Kashyap, mais ce n’est pas une fidélité aveugle, car il y a un film de lui qu’on n’avait pas aimé et qu’on n’avait pas pris. La fidélité consistait à le lui dire. Et quand on a vu Psycho Raman, on s’est retrouvé avec sa folie et son talent et le revoilà à la Quinzaine. »

Laboratoire et grands maîtres

« La question s’est posée cette année. Ce n’est pas totalement notre cahier des charges de chercher des premiers et des seconds films, mais s’ils ne sont pas là, je trouve que la Quinzaine ne fait pas son travail. À la conférence de presse de la Quinzaine, Pierre Salvadori a lu un texte de Yann Gonzalez qui dit que ce qu’il y a de bien à la Quinzaine, c’est le dialogue entre les maîtres et les novices. C’est le cas cette année avec Bellocchio, Jodorowski ou Paul Schrader d’un côté et des nouveaux comme Sacha Wolff (Mercenaire), Houda Benyamina (Divines), l’Afghane Shahrbanoo Sadat (Wolf and Sheep) et Claude Barras (Ma vie de courgette). Soit quatre premiers films cette année. Notre laboratoire, c’est donc de faire aussi ces propositions. Mais un film de Jodorowski est aussi un laboratoire ! »

© Droits réservés

Difficultés

« Le poids des vendeurs est devenu énorme. Les vendeurs font des affaires du genre « je te donne ça, mais tu me prends ça » et moi, je ne veux pas. Du coup, je me retrouve marginalisé par certains. Ça change les règles. Je ne dis pas que c’est bon ou mauvais. C’est mauvais pour nous, mais ça peut être bon pour les films. Un film, heureusement, ne vit pas que par les festivals. Mais ça rend les choses très difficiles pour les sections parallèles comme la nôtre. À la fin, c’est le film qui doit gagner. Si un jour, je m’aperçois que la Quinzaine est mauvaise pour la vie d’un film, j’arrêterai. On a vu beaucoup de films qui auraient mérité un mois de montage en plus. Tout le monde est polarisé sur Cannes, mais il y a une vie après Cannes ! Mais pour les  vendeurs, le festival de Venise n’existe plus, car ils trouvent que le marché n’y existe pas, c’est dommage. C’est un tort, ils n’ont qu’à le faire revivre. Il semble que le San Sebastián remonte dans la cote des vendeurs et c’est tant mieux, car on y est bien traité ! »

Césars

« Huit films qui étaient à la Quinzaine l’an passé ont reçu des Césars, mais ça n’a compté pour rien. Il faut toujours tout réinventer. Le succès d’une année n’aide pas à l’année suivante. »

© Droits réservés

Comédie

« Il y a eu No de Pablo Larraín, puis Adieu Berthe de Bruno Podalydès, Camille redouble de Noémie Lvovsky, Les Garçons et Guillaume, à table ! de Guillaume Gallienne, par exemple. La comédie est l’art suprême du cinéma. Ça requiert un talent extraordinaire. J’essaie de le prouver d’année en année, ça n’est pas toujours facile, mais on arrive relativement à chaque fois à trouver notre proie et à faire rire le public, qui en a énormément besoin. Cette année, avec les films italiens, on a un mélange tragi-comique. Et côté français, on a L’Effet aquatique de Sólveig Anspach, dont le début est complètement burlesque. Avec Tour de France de Rachid Djaïdani, on rit autant qu’on pleure. Et puis il y a Folles de joie de Virzì, où l’on rit beaucoup, même si l’on pleure pas mal aussi. Le rire et les larmes s’alimentent. Je me souviens de Bruno Dumont, qui a présenté Le P’tit Quinquin sur la scène de la Quinzaine il y a deux ans et qui a dit « Je ne vois pas de grande différence entre la comédie et le drame, c’est juste un petit je-ne-sais-quoi qui bouge ». »

Samir Guesmi

« C’est presque mon acteur porte chance ! Il était dans Adieu Berthe de Podalydès, qui fut un grand succès de ma première Quinzaine en tant que délégué général. Il était dans Camille redouble et il revient dans le film de Sólveig Anspach, L’Effet aquatique, où il est extraordinaire. On ne se croise que dans des moments heureux et j’ai beaucoup d’affection pour lui. »