Après Une affaire d’État et La Proie, Eric Valette poursuit son trajet très personnel dans l’univers du polar français. Sèche et nerveuse, son adaptation du Serpent aux mille coupures, fidèle dans le ton et dans l’esprit au roman de DOA, donne envie d’en savoir davantage sur sa conception. Rencontre avec un réalisateur pragmatique et passionné.
Il y a peut-être un vieux reste du mythe du réalisateur comme auteur-démiurge total. Beaucoup d’entre nous ont l’obsession d’être à l’origine de leur film et par conséquent, s’intéressent moins au travail des romanciers, alors qu’il y a une manne considérable de bons bouquins qui ne demandent qu’à être adaptés. Pour ce qui est des producteurs, la frilosité vient plus de l’idée de frayer avec le genre en général que du fait que la base soit romanesque. Il y aussi un problème de proportion entre ce qu’on considère comme de « bonne ventes » en librairie – hors auteurs de best-sellers, s’entend – et ce qu’on considère comme de « bonnes entrées » au cinéma ou audiences en VOD et à la télé. On n’est pas du tout dans les mêmes chiffres, donc seuls les producteurs qui sont des lecteurs et qui, en outre, ont du goût mettent une option sur de bons livres. Plus parce qu’ils pensent que c’est une histoire qui a du potentiel que pour récupérer de façon calculée le lectorat de l’auteur.
Le producteur Raphaël Rocher et moi avons beaucoup travaillé avant de parvenir à faire le film dans des conditions convenables. C’est l’arrivée d’Alexis Dantec dans la boucle de production qui nous a amenés à envisager le film comme production franco-belge avec les partenaires de Nexus pour l’enveloppe budgétaire que nous avions. Et ça passait. De justesse, mais ça passait. Il a donc fallu faire preuve d’ingéniosité et trouver des solutions visuelles pour faire raccorder la campagne bruxelloise et le sud-ouest de la France.
Le roman était court, sec, simple, sous une apparence complexe tout en étant ambitieux. Il se prêtait bien au long-métrage, alors que d’autres romans de DOA sont, par leur densité, plus propices à une adaptation sous forme de série. Par ailleurs, le fait que l’action soit située dans un milieu rural me séduisait. Outre le parfum de western que je sentais, la géographie de l’action me parlait : je suis né à Toulouse et voir le Grand Sud-Ouest prendre les couleurs du genre était un peu comme un rêve de gamin.
Ça me semble la nature même d’une adaptation cinématographique : dégraisser, aller à l’essentiel, faire confiance à l’image et au son… Je ne sais pas si c’est conscient ou si ça se fait tout seul, mais ça se fait à l’écriture, puis pendant les lectures avec les comédiens, puis au tournage. Il y avait aussi des contraintes budgétaires qui tendent à recadrer le récit dans ses fondamentaux. Le final par exemple est plus simple, moins spectaculaire que dans le roman.
J’ai un faible pour le western et j’imagine que c’est parfois visible dans des scènes de certains de mes films. Même si je n’aurais certainement pas forcé le matériau s’il ne s’y prêtait pas, j’ai lu ce roman, puis ce script comme un western. L’étranger dont on ne sait rien, le tueur sadique, la belle fermière, le shérif fatigué… Tout y était, mais de façon un peu pervertie.
On pourrait difficilement me faire un plus beau compliment. Un de mes grands chocs d’enfant, c’est un double programme de reprises vu avec ma mère dans une salle de quartier. L’un des deux films était Tuez Charley Varrick. La concision du film, sa violence, son humour hard-boiled, l’extrême richesse de ses personnages, c’est quelque chose de très marquant quand on a 10 ou 11 ans. J’aime beaucoup Dirty Harry et d’autres films de Siegel bien sûr, mais Charley Varrick a été un vrai choc originel.
Je n’avais pas vraiment d’idée en tête. Il fallait que ce personnage paraisse menaçant, félin, physique. Pas facile. J’avais peur que Tomer soit trop charmeur, mais c’est Nuit blanche qui m’a convaincu. Il y est particulièrement intense. Une bonne tonte par-dessus ça et vous avez le motard. D’autant que Tomer avait envie de frayer avec l’ambiguïté. Il était servi avec ce rôle.
Terence a beaucoup joué les beaux gosses dans des films chinois ou hongkongais, mais la courte scène qu’il a dans Life Without Principles de Johnnie To – où il confronte un des personnages et le poignarde avec une fleur décorative en métal – suffit à le vendre en type inquiétant. Le fait qu’il ait tourné deux fois avec Takashi Miike m’en disait assez long sur son état d’esprit. Il n’a pas vraiment peur pour son image et s’amuse beaucoup, tout en étant très pro.
J’ai l’impression que L’Honorable Société se prêterait plus à un format feuilletonnesque que cinéma, mais ce serait avec plaisir. J’aime les histoires de conspirations politiques et d’hommes de l’ombre… Je crois d’ailleurs qu’à la base, c’était un projet télé avorté que DOA et Manotti ont finalement décidé de transformer en roman à quatre mains.
Manchette, sans aucun doute! Je rêverais de faire – bien, c’est à dire sans en compromettre le ton – La Position du tireur couché.