Je suis un soldat est un premier long-métrage signé Laurent Larivière, lancé à Un Certain Regard à Cannes en mai. Un récit intense et maîtrisé qui tisse sa toile avec le déterminisme social et le lien familial, sur fond de trafic de chiens, entre Roubaix et la Belgique. Louise Bourgoin y incarne avec aplomb Sandrine, de retour malgré elle au bercail. Face à elle, Jean-Hugues Anglade, en oncle patron de chenil trafiquant. Impressionnant de gravité derrière sa barbe épaisse. Scotchant d’humanité muselée. L’occasion de faire le point avec un grand acteur, qui retrouve un beau rôle au cinéma, après une riche période cathodique.
Le look m’a beaucoup éloigné de moi. Moins je me reconnais, plus je me sens spectateur de moi-même et ça devient intéressant. Tout était de l’ordre de l’apparence, visage, coiffure, barbe, vêtements, saleté, et la dureté que Laurent Larivière voulait dans ma façon de parler, de m’adresser à Sandrine, de la regarder, pour qu’Henri soit ressenti comme profondément antipathique. On a eu la chance de tourner la fin du personnage les premiers jours de tournage. Le moment où il se fissure, craque dans le jardin de sa sœur et vide tout son chagrin, sa rage, son ressentiment. La tourner très tôt a permis de l’avoir toujours comme repère. On a pu le construire à rebours. Faire attendre l’humanité et gérer toutes les étapes qui l’amènent à ce moment.
Il y a aussi un côté rural. Je me suis peut-être inconsciemment inspiré de la façon dont je voyais mon grand-père maquignon manger des steaks à 7 heures du matin. Il se levait à 2 heures pour aller dans les foires aux bestiaux du Charolais. Quand j’étais avec lui, je regardais plus que je ne mangeais. C’était un monde d’hommes, avec un côté machiste, un peu effrayant, insécurisant. Ça dégage des vibrations un peu anxiogènes.
On peut trouver des coïncidences dans beaucoup de choses de la vie. J’ai beaucoup fréquenté d’animaux, petit, car mon père était vétérinaire de campagne. J’allais dans les fermes et je voyais des chiens qu’on consolait, soignait ou ramenait à la maison quand ils avaient des fractures. J’allais souvent les nourrir. Je me souviens aussi des bestioles qu’on mettait dans les congélateurs quand elles étaient piquées. Il y en avait un énorme dans le garage en bas, rempli de cadavres de chiens. Puis on les emmenait à l’équarrissage.
Ça dépend avec qui on travaille. Là, c’était une styliste belge remarquable (Frédérique Leroy), qui a trouvé énormément de vêtements pour Henri, pourtant habillé de bric et de broc. Ça s’est fait très vite, des gilets jusqu’au costume qu’il met pour aller au commissariat. Il fallait que tout soit d’une absolue tristesse et dégage l’odeur des animaux, des chenils, de la maison. On vivait d’ailleurs dans une ferme en pays flamand, avec une odeur très désagréable, très forte. On l’a coiffé en arrière, en faisant pousser une barbe pas du tout taillée.
J’aime me perdre de vue. J’espère qu’à partir de soixante ans, dans la décennie qui arrive, avec la maturité physique, je vais pouvoir le faire de plus en plus. Une façon d’être arrivé à prendre suffisamment de distance par rapport à soi, pour être à la fois extrêmement impliqué dans ce qu’on fait, et avoir ce sentiment de se voir de loin. Pendant très longtemps, je n’ai pas pu voir les films que je tournais. Je me voyais trop. Je voudrais que ça change, sans passer par des personnages trop transformés, fabriqués, composés. Après l’épopée Braquo et le rebond sur le cinéma avec Je suis un soldat, j’ai envie de me diriger vers des films « sociétaux », et des personnages pas forcément charismatiques, mais avec des traits de personnalité qui ont le mérite d’être observés.
J’ai eu trente ans à une période, les années 1980, où on montrait beaucoup la nudité, dans une esthétique nouvelle assez léchée, avec audace. J’ai longtemps été utilisé pour une plastique que les cinéastes voulaient filmer dans des scènes déshabillées ou d’amour. Ce n’étaient pas les meilleures ou les plus agréables à jouer. Je le faisais, car je n’avais pas honte de jouer la nudité. Je disais que mon corps était la moitié de mon âme. Mais je suis d’une nature plutôt timide et j’ai toujours eu à forcer, alors que je donne l’impression d’être à l’aise. C’est comme la violence. Mal à l’aise dans la violence physique, je la joue pas mal dans Braquo. Parfois, je suis déstabilisé, je me désynchronise, car je ne suis pas en phase, et j’essaie d’envisager en planifiant le plus possible. Quand on joue au cinéma, on est filmé en pied, dans des valeurs de plans différentes, tout le corps s’exprime. On a une façon de marcher, de bouger, d’exprimer avec son visage, tout ça avec un seul et même corps. La caméra en choisit une partie.
Oui. L’instrument est arrivé assez tard. J’ai longtemps joué avec ma voix de ville, civile, puis elle a commencé à bouger. J’ai changé de tonalité, plus basse, car j’ai arrêté de fumer il y a une quinzaine d’années. Un peu comme une voix de terre, comme si, pendant des années, je n’avais pas eu de prise de terre. Pour passer aux personnages que j’allais incarner entre 50 et 60 ans, on me demandait d’avoir un grain de voix qui devait venir du sol. J’ai commencé à la travailler naturellement, une manière pour moi de passer le miroir. Elle baissait d’un ton ou d’un demi-ton dès que je commençais à bosser un texte, à être en situation de jeu, d’être filmé. Sont arrivés la proposition d’Olivier Marchal et le rôle de Caplan dans Braquo, flic tourmenté avec l’autorité, la gravité, le machisme, la fatigue, les nuits blanches. Il voulait que le personnage ait une voix plus basse et qu’il soit plus poilu. C’est une tessiture dans laquelle je me sens beaucoup mieux. Quand j’étais au Conservatoire, je ne savais pas ce que voulait dire travailler sur la voix. Il était beaucoup trop tôt.