La belle équipe

C’était mieux que l’an dernier, à plus d’un niveau. Il y a eu plus de spectateurs, et en terme d’ambition, on était plus proche des objectifs, avec des films plus audacieux dans leurs domaines. Plus de films de genre, plus de couverture de presse et plus de prix. L’an passé, on avait obtenu le prix de la FIPRESCI avec Rengaine, là on l’a eu pour Blue Ruin et la Caméra d’or, pour Ilo Ilo, même si je sais que la Caméra d’or, c’est très aléatoire.

Oui, au moins du cœur de la sélection. Par exemple, exposer la comédie et, en particulier, la jeune comédie française, avec deux films qui sont presque antithétiques et très réussis : La Fille du 14 juillet et Les Garçons et Guillaume, à table !. Ce sont deux voix différentes de la comédie et qui fonctionnent toutes les deux formidablement, notamment avec le public, ce qui est essentiel pour ce genre. L’année dernière, on était parti sur des noms avec les frères Podalydès et Noémie Lvovsky. Là, il s’agit de deux premiers films. L’un est l’adaptation d’une pièce, que je trouvais réellement inadaptable, et Guillaume Gallienne y est parvenu grâce à une mise en scène extraordinaire, à des idées qui me font parfois penser à Jerry Lewis et Blake Edwards. L’autre, c’est un ton nouveau. Je ne vais pas répéter tous les noms qu’on lui a apposés – Godard, Tati, etc. Mais il y a beaucoup d’humour chez Antonin Peretjatko et c’est un film qui nous transporte pendant 1h30 à la fois ailleurs et face à nos désillusions politiques, d’une manière pas du tout ronchonne à la Mélenchon, mais beaucoup plus anarchisante.

Quand on a eu la possibilité de prendre Le Congrès, on s’est dit que c’était le film rêvé. Il représente toute la Quinzaine à lui tout seul : c’est Cassavetes et Miyazaki, du cinéma qui parle d’une actrice qui a des problèmes avec sa carrière jusqu’au délire futuriste. Pour nous, c’était une sorte de catalogue. En outre, on n’avait pas de film d’animation, et on s’en lamentait un peu. Et puis, c’est un film qui a fait énormément parler, parce qu’il y a eu les pour et les contre, et pendant deux jours, la Croisette a bruissé de ce film. Nous, nous avions trouvé le film passionnant. Il correspondait et à ce que nous voulions faire de la Quinzaine, avec ce mélange des genres très radical, et avec l’Assemblée des cinéastes, puisqu’il est question de l’avenir du cinéma, de l’avenir de l’humanité. C’était le film idéal.

En tout cas, on n’a pas peur de ça. Le cinéma, c’est très agréable à voir, mais c’est aussi très agréable d’en parler après, et même de s’engueuler à son sujet ensuite. Et je pense que la Quinzaine doit aussi jouer ce rôle. La Semaine de la Critique, il faut qu’ils aient la chance d’avoir un premier ou un deuxième film qui suscite cela. La Sélection officielle a d’autres préoccupations. Nous, nous pouvons puiser dans l’ensemble des cinématographies mondiales de l’année pour nourrir des débats autour du cinéma, autour d’un film, autour d’un sujet. C’est aussi un peu notre ambition.

L’idée, c’est de jouer sur la diversité des films. On tient compte d’un équilibre global. On programme The Last Days on Mars le lundi, pour que les gens qui ont envie de se lâcher se lâchent. Les comédies, on les a aussi panachées, et on a placé La Fille du 14 juillet vers la fin, parce que les gens ont besoin de rire à ce moment-là.

Non. Ce sont les meilleurs films, donc c’est un miroir déformant. On ne cherche pas du tout à représenter l’état du cinéma, sinon on passerait beaucoup de mauvais films. Car c’est quand même la majorité. Sur les 1 589 qu’on a vus, 1 400 sont à vomir ! Si on voulait faire une image exacte, on passerait 90 % de mauvais films. Et c’est vrai tous les ans et à toutes les époques. Billy Wilder plaisantait déjà sur tous les mauvais films qu’il pouvait y avoir à Hollywood. On n’est jamais un miroir exact, on est déformant ou grossissant sur certains aspects.

La journée Jodorowsky, c’était une journée magnifique. En partie inattendue. On savait que le soir ce serait fort avec la succession des deux films, le documentaire de Frank Pavich et le film de Jodorowsky, et on avait fait venir Nicolas Winding Refn pour parler. Mais le matin, on pensait que, comme d’habitude, sur les 800 spectateurs, 500 partiraient pour le Q&A. Or 20 personnes sont parties. Et ils ont fait un accueil tellement beau à Alejandro… L’autre chose magnifique, c’est l’arrivée des deux mômes de The Selfish Giant sur scène, Shaun et Conner. Peut-être parce que c’est le film que je préfère, c’est dit, et que c’est un film qui doit beaucoup à ces deux garçons. Quand ils sont venus face au public, c’était un grand moment.

Oui, deux de plus. Ce qui nous a obligés à prendre des premiers films, c’est aussi que Thierry Frémaux a fait son boulot et qu’il a retenu tous les films intéressants de gens intéressants. Du coup, là, j’ai appris quelque chose. L’an prochain, les gens intéressants, ils iront à Venise s’ils veulent. Mais moi, je continuerai à aller chercher du côté des gens nouveaux ou de ceux qui réorientent leurs choix, leur esthétique ou leur carrière. Ça, c’est quelque chose que j’ai appris cette année : le délice d’avoir à trouver des cinéastes alternatifs. Quand je me dis que s’il nous avait lâché un ou deux noms, peut-être que je n’aurais pas pris Peretjatko, ça me fait froid dans le dos parce que La Fille du 14 juillet est un des grands plaisirs qu’on a eus à Cannes. Je serai attentif à ça à l’avenir. On ne se jettera pas sur le plus simple, c’est-à-dire quelqu’un qui a été rejeté par l’Officielle.