Stylos à la main
Rencontre avec Didier Bourdon, Bernard Campan et Pascal Légitimus, comédiens, scénaristes, réalisateurs
Comment les Inconnus écrivent-ils à trois ? Comment les idées circulent-elles entre eux ? Comment tirent-ils le fil de leurs pensées conjuguées ? Entretien (très) pragmatique autour de ces instants d’écriture partagés, à l’occasion de la sortie des Trois Frères, le retour, le 12 février.
Bernard Campan : C’est très variable. Pour Les Trois Frères, le retour, on s’est retrouvés chez Didier à Ibiza, chez Pascal, dans un restaurant avec un parc qui s’appelle « Le Tir aux pigeons » à Boulogne ou à Ramatuelle, par exemple. Comme j’habite loin de Paris, on cherche habituellement des endroits à mi-distance où l’on peut se retrouver tous les trois. Et lorsque Didier était au Canada, à un moment, on a travaillé par Skype.
Didier Bourdon : On travaille en séminaire. On est tout le temps l’esprit en alerte.
Didier Bourdon : Comme disait Jean Renoir : « Il faut laisser les fenêtres ouvertes ». Au départ, il faut essayer de tout prendre et après, c’est comme un échafaudage, il y a beaucoup de choses que nous avons écrites, puis que nous avons oubliées. Il ne faut pas non plus trop laisser courir les choses. Lorsque l’écriture est bien avancée, il faut laisser reposer. Il faut savoir où l’on va tout en se laissant guider par les personnages.
Bernard Campan : J’aime bien l’idée aussi que les personnages, à un moment, deviennent autonomes et que ce soit eux qui guident l’écriture. Ces personnages, on les connaît déjà, il y a donc des bases induites.
Bernard Campan : Moi, je grignote et je sirote beaucoup. Quand j’écris, c’est nerveux, j’ai besoin de thé, de déca, d’eau…
Didier Bourdon : Il faut dire qu’avant, on avait la clope…
Bernard Campan : Le repas, c’est la récompense.
Didier Bourdon : Dans l’écriture, ce qui est marrant, c’est qu’on se lève et qu’on fait les scènes. Mettre en 3D peut nous aider.
Pascal Légitimus : C’est surtout eux, au départ, qui ont une grosse réflexion sur l’histoire et les personnages. Puis, quand il y a une matière un peu avancée, on se concerte tous les trois.
Didier Bourdon : Quand tu écris tes one-man-show, tu écris à l’ordinateur, toi ?
Pascal Légitimus : Moi, oui.
Didier Bourdon : Parce que moi, c’est au stylo !
Pascal Légitimus : Moi, j’ai un carnet où je note tout : des vannes, des idées, n’importe quoi. Puis j’écris ensuite sur mon iPad.
Bernard Campan : Didier et moi, on aime bien écrire à la main. On est de la vieille école. Et quand on est contents du brouillon, je recopie. Puis je retravaille la copie à même la feuille. J’aime bien le papier, moi.
Didier Bourdon : Sur le papier, on peut biffer, on voit les étapes.
Pascal Légitimus : Lorsqu’on écrit à la main, on voit la construction, la progression, les notes dans les marges. C’est riche de plein de choses. Il y a une vue d’ensemble, contrairement à l’ordinateur qui est plus froid.
Bernard Campan : On ne se ressemble pas, mais on procède beaucoup par associations d’idées. C’est pour ça qu’on ne sait plus trop ensuite de qui viennent les idées.
Didier Bourdon : Certains collaborateurs jouent aussi un rôle : notre chef déco, par exemple, nous a proposé des choses.
Pascal Légitimus : Il est très créatif. Il se fait son propre film et lorsqu’il nous propose des idées, c’est toujours très argumenté. Son univers correspond au nôtre, il nous connaît bien aussi.
Didier Bourdon : Moi, j’ai du mal à travailler seul au cinéma. J’aime bien procéder en ping-pong, en vis-à-vis.
Pascal Légitimus : J’aime bien aller au bout de mon truc, moi, et avoir ensuite un écho. Mais là, on se connaît bien et on trouve l’écho naturellement.
Didier Bourdon : Ah non, ça, on en est incapables.
En chœur : Oui.
Didier Bourdon : Ça m’a toujours aidé. Je me souviens d’un problème en physique, autrefois. Je bloquais et il n’y avait pas les portables à l’époque pour appeler les copains. J’ai fait une promenade à Saint-Germain-en-Laye et en rentrant, la solution au problème m’a sauté aux yeux. Prendre l’air, c’est très important.
Bernard Campan : Les repas, c’est fait aussi pour se vider la tête. Et la nuit porte conseil, aussi. C’est dans tous ces moments de pause qu’inconsciemment les choses peuvent venir.
Pascal Légitimus : C’est dans le lâcher-prise que les choses se décantent. C’est dans ces moments que le petit ange gardien vient vous parler. C’est une métaphore, mais c’est vrai.
Bernard Campan : Mais contrairement au chat qui se détend à 98% dans son sommeil, on est tout de même crispés à 40% en dormant.
Pascal Légitimus : Scientifiquement, il est prouvé que les vrais moments de lâcher-prise sont : quand on va à la selle, quand on rit, quand on fait l’amour (dans le partage), et dans la phase de sommeil paradoxal. Ce sont les quatre moments majeurs de lâcher-prise pour l’homme.
Didier Bourdon : Pourquoi les animaux se cachent-ils lorsqu’ils font leurs besoins ? Parce qu’ils sont vulnérables dans ces moments-là.
Pascal Légitimus : Mais c’est vrai qu’on peut avoir des fulgurances lorsqu’on va aux toilettes. Je vous rassure, je n’y passe pas mon temps, mais ces moments-là peuvent apporter de vraies résolutions.
Bernard Campan : On est tout le temps en train de vouloir maîtriser nos pensées, ces moments de lâcher-prise sont capitaux.
Pascal Légitimus : J’aime bien aussi aller au spectacle voir les autres, les spectacles qui font rire, notamment, me détendent et me permettent de trouver des idées en rentrant chez moi.
Bernard Campan : On a eu un gros nœud à un moment, impossible à démêler. Ça fait mal !
Didier Bourdon : En fait, c’était un faux nœud. Peut-être dû au fait qu’il faisait froid. On était dans un Relais Château certes charmant, mais en plein mois de février, avec ce petit bassin gelé et la grisaille, je ne sais pas, c’était peut-être le cadre, justement…
Bernard Campan : Parfois, ce peut être un problème de construction. Didier a souvent l’idée d’inverser une séquence, ce qui peut débloquer les choses. Parfois, ce peut être un blocage sur un simple mot.
Bernard Campan : J’aime l’empreinte que peut laisser un rêve et j’aime y revenir dans la journée pour en comprendre le sens. La rêverie éveillée, c’est souvent avec moi, mais c’est souvent stérile.
Bernard Campan : On fait des plans, des déroulants.
Didier Bourdon : J’aime les séquenciers.
Bernard Campan : Mais on ne fait pas de plans au tableau, comme certains scénaristes ou réalisateurs.
Didier Bourdon : Quant à l’ordre, il suffisait de voir nos chambres d’hôtel (enfin… à l’époque, parce qu’avec le temps, on devient plus sérieux) : toi, Pascal, c’était toujours très bien rangé ; moi, c’était un peu le bordel, et toi, Bernard, c’était l’horreur !
Pascal Légitimus : On n’aurait jamais pu durer aussi longtemps, s’il n’y avait pas eu cette équation entre nous.
Didier Bourdon : Une équation à trois inconnus, bien sûr.
Pascal Légitimus : Chacun s’exprime, on garde ou on ne garde pas les idées, mais chacun trouve sa juste place.
Didier Bourdon : Claude Lelouch nous avait approchés à une époque. Je me demande ce que ça donnerait si un réalisateur nous engageait tous les trois…
Bernard Campan : Comme ça.
Didier Bourdon : Ce n’est certainement pas un hasard. D’ailleurs avant-hier, Pascal, tu avais mal à la gorge et tu avais un peu ma voix et c’était pas bien !
Pascal Légitimus : C’est vrai qu’on forme un accord. Comme l’accord du blues : il y a trois notes, et cet accord correspond aux vibrations de la nature. Quand on s’est rencontrés, ça s’est fait naturellement, cette harmonie, en fonction des énergies de chacun.