Dan Franck, la leçon de scénario
Dan Franck publie Scénario chez Grasset, librement inspiré de son expérience malheureuse avec la série Marseille diffusée sur Netflix.
Il raconte donc la vie d’un scénariste écrivant l’histoire de faux-monnayeurs œuvrant entre Marseille, Miramas, le Maroc et la région de Toulouse. C’est le livre qu’il faut lire pour connaître tout ce qu’il ne faut pas faire quand on travaille avec un scénariste.
Consciencieux autant que passionné, le narrateur enquête à Marseille auprès des bandits, petits et grands, pour nourrir son scénario. Il a travaillé dessus pendant deux ans, pour constituer le puzzle parfait, qui donnerait à voir des malins et des renards, en famille et au boulot, des hommes amoureux, des femmes dévouées, des premiers et des seconds rôles.
On le suit dans ses allers-retours entre le réel et la fiction qu’il construit. Il façonne ses personnages, des situations, et relate tout cela à son producteur. Un homme peu inquiet, alors qu’il est en concurrence pour signer la première collaboration française avec la société américaine WDM, Word Digital Movies.
Dans Scénario, toute ressemblance ainsi que toute liberté prise avec la réalité est tout à fait volontaire. Telle est la leçon de scénario de Dan Franck. L’histoire de ce fiasco relationnel entre un scénariste et son réalisateur est vraie, puisque le divorce a été consommé après la sortie de la saison 1 de Marseille entre Florent Siri, le réalisateur, et Dan Franck, le scénariste. Dan Franck le romancier en fait un roman très réussi. Une aubaine pour les lecteurs.
L’enquête de terrain, c’est ce qui me passionne, car, au fond, je voulais être journaliste. Que ce soit une réalité historique ou des histoires actuelles, je cherche des faits réels, que j’agence ensuite pour construire une fiction. Mais ce qui m’intéresse vraiment, le sujet du livre, c’est de raconter comment on confronte le réel avec son imaginaire.
J’avais rencontré des dealers, qui m’avaient raconté que, quand ils utilisaient des « go fast » en mer, ils mettaient des GPS sur leur cargaison. S’ils se faisaient prendre par les flics, alors ils larguaient leurs caissons de drogue en mer, et récupéraient leur « sarcophage » quelques jours plus tard grâce à la balise GPS. Moi j’écrivais une histoire de fausse monnaie et je ne voyais pas le rapport. Mais finalement j’ai réussi à me servir de cette « technique » de récupération dans mon histoire de billets de banque. C’était une scène d’ouverture géniale. Le réel nourrit tout… et l’imaginaire prend le relai. Je voulais montrer cela. On a tous un imaginaire, il faut apprendre à s’en servir.
Dans mon livre, je montre que le scénariste a aussi une vie de famille. Il passe son temps dans son histoire et en même temps sa famille le rappelle à la réalité. On se sent un peu exclu des discussions familiales. Le réel, on y revient au moment du tournage, et là c’est du matériel, c’est du concret, on peut parler des comédiens, de la mise en scène, sinon tout semble impalpable.
C’est le rapport entre le scénariste et tous les autres qui interviennent dans un film. Il y a le producteur, le diffuseur, le metteur en scène. On est libre au départ, et on bouge en fonction des demandes des uns et des autres si elles sont légitimes. Rien ne sauve un mauvais scénario, rien ne sauve un mauvais film. On ne peut pas avoir un bon film avec un mauvais scénario. Car à la base, pas il n’y a pas de film sans scénario.
Le scénariste, dans mon roman ou dans la vie réelle, a une intimité avec ses personnages. Pour écrire la série Marseille, j’ai rencontré des gens, des gros marlous, qui m’ont raconté leur vie. Je ne suis pas là pour les juger. En revanche, je n’aurais pas pu écrire sur des salauds, il faut que j’ai un peu de connivence avec mes personnages, que j’ai de l’empathie.
Évidemment, les personnages réels que j’ai rencontrés n’ont rien à voir avec ceux que j’invente dans le roman et la série. Il ne fallait pas dire n’importe quoi, j’ai masqué beaucoup de vérités. Il fallait que ce soit réaliste, mais ne pas interférer dans le jeu du chat et la souris entre eux et les flics. Ils m’ont fait confiance, ils sont venus me voir à Paris, j’ai même été à leur procès.
C’est une scène d’exposition. C’est très difficile de commencer une série, justement parce qu’il faut mettre en place des choses. Mais si c’est trop lent, les gens s’en vont. Il faut trouver l’accroche. Ne pas donner toutes les clés, mais capter l’intérêt du spectateur ; la scène du « go fast », par exemple, est intéressante à cet égard. C’est une scène très forte qui emmène plus loin.
Alexandre Dumas est, pour moi, le maître des séries françaises. Il donne les règles qui sonnent très juste aujourd’hui : il ne faut jamais s’emmerder.
Certaines scènes d’ouverture peuvent ne pas être des scènes d’action mais être très puissantes, comme l’ouverture de Breaking Bad : on ne comprend rien, mais c’est très fort.
On peut prendre les personnages à contre-emploi, ou bien inventer des tordus et les mettre dans une situation normale. L’évolution psychologique d’un personnage peut aussi être un évènement en soi.
Il y a une tendance intéressante en ce moment, ces séries d’anticipation, décrivant une réalité possible dans 20 ans. Moi-même j’en écris une avec Enki Bilal à partir de sa dernière BD Bug.
Il y a plus de jeunes scénaristes talentueux qu’on ne croit en France. C’est à eux de faire bouger les lignes d’une modernité qu’on ne connaît pas assez.
En France, les bonnes séries sont des séries policières, mais on se contente d’utiliser un vieux filon, or il y a aussi des ressources, des nouvelles qui ne sont pas explorées.
Il y a aussi des séries politiques, comme Les Hommes de l’ombre et Baron noir. Mais on est trop dépendant des audiences pour se lancer, pour inventer des formats nouveaux.
Ma génération regarde encore la télé, mais on sait bien que c’est fini. Maintenant il faut écrire pour le smartphone. Quelque chose de nouveau doit se créer, et la télé est dans une contradiction. Elle doit satisfaire son public, mais aussi le renouveler. Il faudrait donc donner plus de latitude à ces jeunes.
La France ne gagnera pas. Il faudrait créer une plateforme européenne ; c’est un des projets de Delphine Ernotte, je crois, de créer des séries haut gamme en coproduction européenne.
La France fait déjà des choses formidables, comme 10% et on est en train de monter en terme qualitatif. Les chaînes se sortent un peu de la contradiction entre public jeune et public captif.
Les moyens de la télé sont assez importants. Simplement on n’a pas les moyens de Netflix, d’Apple ou Disney et Amazon. Pour moi cela signe le retour d’Hollywood. Il faut s’armer.
Aux États-Unis, le scénariste est aussi le show runner, avec voix au chapitre sur tout, y compris le choix du réalisateur : il est le créateur et la pierre angulaire de la série.
En France, ça se fait un peu avec Engrenage et Un village français, mais c’est rare. Ça devait être mon cas sur Marseille, mais ça ne s’est pas fait. Quand le metteur en scène ne veut pas, ça bloque.
Mais ça va venir, car les scénaristes vont finir par demander à être coproducteurs et imposer leur marque. Le travail devrait se faire dans un esprit de complémentarité. Car si au moment de l’écriture, on se sent libre parce qu’on est seul, il ne faut pas oublier qu’un film, c’est toujours une œuvre collective.
Un scénariste sait qu’il ne sait pas tourner, le réalisateur devrait se dire que sur une série, il ne peut pas tout savoir. Car il faut avoir tout en tête de l’évolution psychologique des personnages. Le scénariste a fait le tour de tous les possibles pour chaque personnage. Les différentes versions, les notes, les hésitations : cette lecture est indispensable aux séries.
Pour Carlos, Olivier Assayas a participé à l’écriture, il avait sa version à lui, mais c’est un cas rare. En général, le réalisateur ne sait pas faire cela.