Ce fut une brève conversation, murmurée, à l’heure du thé. De sa voix douce, Yolande Moreau évoque la naissance et la construction de Henri, son deuxième et touchant long-métrage, découvert à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, en mai dernier. Il faut tendre l’oreille et l’imaginer rêver, accueillir ses idées : un personnage d’homme veuf, une jeune femme innocente, désireuse. L’histoire d’une rencontre et d’un envol.
L’âme du projet est liée à une chanson de Tom Waits que j’ai beaucoup écoutée, You Are Innocent When You Dream. Elle n’est pas dans le film, mais elle a été instigatrice de ce projet. Il y avait quelque chose qui m’émouvait dans cette voix rocailleuse. Je sais que je suis partie de là. C’était au moment où je faisais des repérages pour Quand la mer monte. J’avais déjà envie d’un autre sujet. Cette musique m’habitait et m’inspirait. Parfois, plus on fait des choses et plus les sujets viennent à vous.
Je mets beaucoup de temps à écrire. Je cherche, j’ajoute des éléments et les choses se dessinent petit à petit. Au début, c’est très vague : il est question d’un homme, un peu alcoolique, qui a la cinquantaine, qui parle peu…
Je voulais qu’il soit grand. Je pensais beaucoup à Anthony Quinn dans La Strada, à ce type d’homme. Puis j’ai rencontré Pippo Delbono, il évident que c’était lui.
L’idée d’envol était très importante pour moi. Elle renvoyait directement à la chanson de Petula Clark qui est dans le film, La Nuit n’en finit plus, avec ces paroles : « J’ai envie d’aimer, j’ai envie de vivre ».
Tant mieux, car j’accorde énormément d’importance aux repérages et aux lieux où s’inscrit mon histoire. L’écriture du cinéma est une écriture en images, donc quand on peut dire les choses sans parler, je suis ravie. Quand Rosette a peur du vent lorsqu’il s’engouffre et qu’elle se recouvre de rideaux qui dessinent une robe de mariée, quand elle transgresse les règles à la piscine, quand elle et Henri se regardent dans des miroirs déformants, toutes ces scènes racontent beaucoup de choses, sans paroles, sur l’identité des personnages. C’est le cinéma que j’aime et qui me fait envie.
Chez moi, dans ma maison, dans mon bureau. Je vis à la campagne. C’est très calme chez moi. Je suis dans ma bulle quand j’écris (ce que me reproche mon mari !). Le début de l’écriture est toujours douloureux. Une fois qu’on a le sujet et qu’on trouve des choses, ça devient très jouissif. A partir du moment où on commence à y penser tout le temps, où tout s’y raccroche, ce qu’on entend à la radio, les musiques qu’on écoute, là, ça devient très passionnant.
Peu. Pratiquement pas, en fait.
C’est un foutoir. J’ai du mal à le ranger. Il y a beaucoup de choses. Je mets du temps à répondre aux gens, aux scénarios qu’on m’envoie.
Des petites choses qui peuvent changer. J’ai une carte postale du Cri de Munch qui me suit depuis des années. Ce cri en silence de l’âme humaine me plaît bien. Elle est devant moi, sur mon bureau.
Ça a été le cas pendant l’écriture de Quand la mer monte. J’avais une image de quelqu’un qui devait jouer le rôle. Finalement Wim Willaert l’a remplacé et c’était très bien. Mais ce visage m’a aidée à écrire. Pour Henri, pas tellement. J’ai cherché mes acteurs après l’écriture.
J’écoute beaucoup de musique sur internet. Je vais sur Google Maps pour repérer des choses, pour circuler dans les rues. Je fais des recherches sur des acteurs. Je regarde leurs films. Tout ça prend un temps fou, en fait. C’est une grande rêverie solitaire, et c’est ce qui me plaît. Après, ça se met en route avec des gens. Ma fille est scripte et m’a beaucoup aidée. On a fait le découpage à deux, puis avec le chef-opérateur. Ça m’a fait me poser beaucoup de questions.
Oui, beaucoup d’idées me viennent en bagnole. J’aime beaucoup la route.
Oui, je ne parle jamais très fort.