Jusqu’à La Chambre du fils inclus, je pensais que mes films n’avaient un sens que si je les écrivais, les mettais en scène et jouais le rôle principal. Je pensais ne pas être un scénariste de métier, un réalisateur de métier, un acteur de métier. Mais en revanche, si je faisais ces trois choses ensemble, Áa avait un sens pour proposer des films personnelsÖ Maintenant ce n’est plus le cas, je pense que je peux être utile comme scénariste pour un film de quelqu’un d’autre, comme acteur pour un film de quelqu’un d’autre, et ça fait déjà trois films que je tourne sans en être l’acteur principal. Aujourd’hui, s’il m’arrivait un scénario que je trouve beau et original, je pourrais envisager de le mettre en scène. Ce qui m’était impensable il y a quelques années. Une fois que j’ai dit ça, dans les trois derniers personnages principaux, que ce soit le réalisateur dans Le Caïman, le pape dans Habemus Papam ou la réalisatrice dans Mia madre, même si dans les deux derniers cas, il s’agit d’un vieil homme et d’une femme, à chaque fois c’est moi ! Je suis à l’intérieur de ces personnages. Ça n’a pas changé : je pars toujours de moi pour construire un scénario et un film. Et quoi qu’il en soit pour ces quarante premières années de cinéma, en ce qui me concerne, tous mes films sont autobiographiques, parce que, même s’ils ne le sont pas au sens premier du terme, ils partent d’un sentiment que j’ai sur moi, sur les autres ou sur la société qui m’entoure.
C’est la seule manière que j’avais de faire du cinéma : nécessité fait loi ! Dès les premiers courts-métrages en Super 8, il y a des choses qui me sont venues naturellement : parler de mon monde, de mon milieu, mais avec une certaine ironie. Une auto-ironie. À ce moment-là, je n’étais pas que derrière la caméra Super 8, j’étais devant aussi, pas tant comme personnage, mais comme personne. Ce sont des choses qui sont venues d’elles-mêmes dès le tout tout tout début.
C’est une grande responsabilité pour moi, ce que vous me dites là… Dès l’âge de 19 ans, quand j’ai commencé à tourner mes courts-métrages en Super 8, j’ai senti que c’était le moyen le plus adapté pour communiquer. Dans l’urgence où j’étais de dire ces choses, à moi-même comme aux autres, le cinéma a été la réponse évidente. Je ne peux pas vous affirmer qu’il y a quarante ans, je pensais à mon parcours et à mon chemin futur de cinéaste. Mais disons que, dans mes premiers films, je me suis amusé petit à petit à construire mon personnage et à le retrouver de film en film. Jusqu’à Palombella rossa, où mon personnage avait perdu la mémoire. Honnêtement, je n’y ai pensé qu’après, mais peut-être qu’en tant que réalisateur, je n’avais pas envie de continuer à l’infini à regarder ce personnage. C’est sans doute pour ça qu’il était amnésique : parce que je voulais que ça s’arrête ? Ensuite, j’ai réalisé deux films journaux (Journal intime et Aprile), dans lesquels je n’étais pas moi-même, mais je m’interprétais moi-même. Et ensuite, mes personnages n’ont plus eu grand chose à voir avec ceux de mes premiers films.
Oui, c’est la première fois ! J’ignore pourquoi, mais dès le début, j’ai senti que cette histoire devait se positionner du point de vue d’une femme. Peut-être parce que faire raconter ce sentiment de la perte par une femme me donnait plus de distance et me permettait d’avoir plus de lucidité. Peut-être parce que c’est plus intéressant. Peut-être parce que ça me rendait curieux de donner à un personnage féminin des caractéristiques qui sont plutôt associées, au cinéma, à des personnages masculins.
La manière dont elle vire son fiancé est un peu spéciale, ce sont en général les hommes qui se conduisent comme ça, non ? Même son métier : en général, dans les films sur le cinéma, les réalisateurs sont des hommes. Son rapport intense et concentré à son travail me semble masculin, comme sa difficulté à s’occuper de sa mère… Voilà les caractéristiques qui, dans les films, ne sont pas dévolues aux femmes me semble-t-il. J’ai bien dit : dans les films !
Après toutes ces années, je crois que je suis plus solidaire de mes acteurs. Plus affectueux, aussi. Avant, je les considérais un peu comme des pions sur un échiquier. Maintenant, je suis lié à eux de façon émotionnelle. Un film est fait de beaucoup de matériaux, le jeu des acteurs est pour moi un des matériaux principaux… Contrairement à Margherita, je ne dis pas aux acteurs : « Je veux te voir à côté du personnage ». Je ne le dis pas, mais je le pense. Je le pense même constamment ! La raison en est que je ne suis pas un grand fan des performances où les acteurs tombent en transe et entrent tellement à l’intérieur du personnage qu’ils finissent par disparaître. C’est un type d’interprétation qui a toujours beaucoup de succès, tant auprès des critiques que du public, mais je n’en suis pas fou… Le jeu des acteurs a toujours été un aspect du film auquel j’ai apporté beaucoup de soin, ça continue à l’être de la même manière, rien n’a changé du point de vue de la direction d’acteurs : avant, je travaillais beaucoup avec eux, et je continue. Mais maintenant, je me sens plus proche.
(Silence… Hésitation…) Pas des faits concrets, pas des événements précis. J’ai fait des films sur à peu près tous les sujets de ma vie : sur la famille, le fait d’être père, d’être fils, sur le sport, le cinéma, la religion, la politique… Ce que j’aimerais raconter aujourd’hui, ce sont plus des pensées qui apparaissent dans ma sphère personnelle et qui ne sont pas faciles à porter à l’écran.
(Il rit). J’espère que non. Mais malheureusement, ça fait des mois que je cherche l’idée qui puisse me plaire et je ne l’ai toujours pas trouvée. Et comme je le disais précédemment, je serais même disposé à tourner un scénario que je n’aurais pas écrit, mais ceux qu’on m’envoie ne m’ont pas encore convaincu. Peut-être que les scénaristes professionnels ne pensent pas que je pourrais être intéressé ?