Conversation avec Anders Danielsen Lie, acteur
"J'ai envie d'explorer d'autres registres"
Il est acteur, il est médecin, il est musicien, auteur d’un album (This is Autism) réalisé avec des fragments sonores collectés dans son enfance. Il passe sur son visage en lame impassible des airs inquiets d’homme blessé. De quel désarroi existentiel joue avec Anders Danielsen Lie le cinéma ? De quel mal de vivre se soigne cet acteur norvégien qui travaille à guérir les hommes ? De quelle inquiétante étrangeté est-il l’élu sensible ?
Je ne le fais plus à plein temps. Je travaille comme généraliste à temps partiel dans un cabinet à Oslo où je partage mes patients avec un autre médecin. Je ne sais pas combien de temps encore je le ferai, car c’est difficile de le concilier avec mes projets au cinéma.
Je ne me sens pas acteur. Je ne veux pas me définir comme tel, me circonscrire avec une telle identité. J’ai besoin de me nourrir intellectuellement d’autres choses que le cinéma. Le travail d’acteur est stimulant, mais il ne me suffit pas.
Tout dépend des rôles et de ce qu’ils requièrent. Il est sans doute toujours utile de faire un travail de recherche dramatique, plus ou moins approfondi, mais cela n’aide pas forcément à mieux jouer. Il subsiste une part qui résiste dans le jeu, et qui est un mystère.
Quand la caméra tourne, je ne sais plus ce qui se passe. Même en essayant de voir ça rationnellement, d’analyser comme je le fais en préparant les rôles : quelque chose échappe au moment de jouer la scène. Je suis très conscient de la technique, de la place de la caméra ou de la lumière, mais je me laisse aller pour jouer à l’instinct, avec mes émotions, mon état d’esprit.
Ma mère, Tone Danielsen, est actrice. J’ai fait mes débuts dans un long-métrage, à dix ans, dans Herman d’Erik Gustavson, un réalisateur qu’elle connaissait. Je jouais un gamin qui souffrait d’alopécie et perdait ses cheveux. Pour un enfant, c’est un drame, et ce film, très beau d’ailleurs, le montrait. J’ai compris avec ce tout premier rôle que le cinéma exigeait une grande force mentale, même si, en même temps, c’était un jeu. Comme on avait dû me raser la tête, ça avait été un choc. Après cela, je n’ai plus joué jusqu’au premier film de Joachim Trier, Reprise, il y a dix ans. Reprise a été mon premier rôle dans ma vie d’adulte. Quand je l’ai tourné, je n’avais pas encore terminé mon internat et je n’avais aucun plan de carrière.
J’aime le cinéma comme art, c’est un médium fascinant, et je suis cinéphile. Quand j’ai reçu le scénario de Reprise, j’y ai trouvé quelque chose que je ne connaissais pas dans le cinéma norvégien, sur des thèmes qui m’intéressaient. Et les personnages étaient très bien écrits. Je ne me suis pas projeté dans une carrière d’acteur, j’avais juste envie de faire ce film.
Je ne suis pas aussi triste que les personnages dont je fais le portrait au cinéma. Mais j’ai en moi une profonde sensibilité, qui me rend fragile et accessible à la mélancolie et à la noirceur. En même temps, je n’ai pas envie d’être catalogué acteur triste, enfermé dans un type de rôle.
J’ai très envie, depuis quelques temps, d’explorer d’autres registres. Des rôles difficiles comme celui d’Oslo, 31 août, sont épuisants nerveusement et physiquement. Je quitte mes personnages avec soulagement, un sentiment de libération à la fin, car ils me vident. Sur le tournage de Ce sentiment de l’été, à Berlin, j’étais profondément déprimé. Ça a été très dur pour moi, mais aussi pour Mikhaël Hers, le réalisateur. Je savais que je jouais un homme en deuil, confronté à la mort soudaine de la femme qu’il aimait, j’avais signé pour ce rôle, mais je n’imaginais pas que je souffrirais autant.
Je dis oui à des scénarios très bien écrits : ils font toujours de belles histoires de cinéma. a contrario, un mauvais scénario ne fait jamais un bon film. Je suis très exigeant avec moi-même et je fais des lectures assez critiques. Alors je me fie à mon jugement et à ce que j’éprouve en lisant, sans me soucier de ce qui peut être bon pour ma carrière. Je dis oui aussi à des réalisateurs dont j’aime le travail, l’univers, la signature, la vision.
Dans son ensemble, le cinéma européen. Dans le détail, le cinéma français. Je viens de tourner Personal Shopper avec Olivier Assayas, et je suis un grand admirateur du cinéma d’Arnaud Desplechin et de Claire Denis. J’aime explorer de nouveaux territoires.