"J'ai grandi en Suisse dans les montagnes, un peu comme Heidi"

Entretien avec Claude Barras, réalisateur de Ma vie de Courgette

En stop-motion, Claude Barras a donné vie à Courgette et des marionnettes de l’enfance aux grands yeux d’innocence. En mai, au bord des sables de la plage de la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes 2016, où il figurait en sélection, le réalisateur racontait cette grande histoire émouvante d’un petit garçon au surnom de cucurbitacée.


 

Comment est venu ce projet d’adapter le roman de Gilles Paris, Autobiographie d’une Courgette (Flammarion) ?

L’idée est venue de Cédric Louis, avec qui j’avais travaillé sur mon premier court-métrage, Banquise, présenté en compétition au festival de Cannes en 2006. Tous mes courts-métrages traitaient de l’enfance et de la difficulté de l’enfance. Ce livre était écrit pour qu’on en fasse un film.

Pourquoi votre cinéma tourne-t-il autour de l’enfance ?

Peut-être parce que j’ai eu une enfance heureuse, une bulle de bonheur, dont je suis nostalgique et que j’essaie de retrouver. J’ai grandi en Suisse dans les montagnes, un peu comme Heidi. Mes grands-parents élevaient des chèvres.

Camille, Courgette et Simon, les personnages de Ma vie de Courgette.
L’enfant heureux que vous avez été est cependant devenu un cinéaste de l’enfance malheureuse…

C’est une sorte d’engagement politique. De nombreux films divertissent les enfants en refusant d’aborder des questions complexes. Et de plus en plus de sujets y sont tabous, comme si on ne pouvait traiter de questions difficiles avec les enfants. Ce n’est ni sain ni formateur.  Le film montre ces difficultés et la possibilité de les traverser avec des valeurs positives et de se construire.

Comment se nourrit un imaginaire qui parle de l’enfance ?

Pour Courgette, cet imaginaire s’est nourri de la rencontre avec quelqu’un d’autre, avec Gilles Paris, qui a aussi un univers enfantin. Il s’est nourri aussi de l’apport de Céline Sciamma pour le scénario. Elle porte sur l’enfance un regard très sensible.

On regarde le film avec une impression de réalité. La vraie vie est-elle rentrée dans Ma vie de Courgette ?

J’avais fait plusieurs versions avec la collaboration de scénaristes de bande dessinée avant que Céline Sciamma ne vienne. Pendant qu’elle écrivait le scénario, j’ai fait trois semaines de stage immersif dans un foyer pour enfants. Quelques détails  du film sont tirés de cette expérience, comme le tableau des humeurs. Même si le film est très stylisé, très cartoon, j’ai besoin que le fond soit très réaliste. Je parle d’une histoire qui se passe ici et maintenant et  j’essaie de transmettre des valeurs à travers elle.

Les émotions abondent, sans trop-plein. Comment réaliser l’équilibre entre la drôlerie et le poignant ?

Au départ il y a le très beau livre de Gilles Paris, chargé d’émotions. Le scénario a ajouté d’autres émotions encore que nous essayons de transmettre, même si je crois que l’émotion appartient à chacun et que nous la puisons en nous-mêmes. Ces émotions ont aussi été travaillées à travers les voix justes des enfants. Nous avons joué tout le film avec eux avant de monter leurs voix. Les animateurs se sont basés sur leurs intonations, leurs respirations, leurs hésitations, leurs silences, pour les amener sur les marionnettes.

Vos marionnettes aux grands yeux héritent-elles du manga ?

Ce n’est pas un héritage, mais une même réflexion qui aboutit aux mêmes proportions. Plus les yeux et les têtes sont grands, plus ils sont simples, plus ils ouvrent la porte aux émotions. Particulièrement en stop-motion, c’est aussi plus facile pour les animateurs de travailler sur de grandes têtes, puisqu’ils peuvent les manipuler avec leurs mains plutôt qu’avec des pinces à épiler.

Le film se place à hauteur d’enfance. Comment se plaçait la caméra sur les marionnettes ?

La caméra se plaçait à hauteur des yeux justement, braquée sur les réactions de l’enfant, en plans-séquences. La moitié du film se place en face-à-face avec le regard des personnages.

Sous l’influence de quel cinéma d’animation vous placez-vous ? Est-ce que les réalisations des studios Aardman vous sont proches, par exemple ?

Oui. J’aime beaucoup la série des Creature Comforts de Nick Park. Où les animaux d’un zoo parlent en fait de la vie des hommes. C’est drôle et touchant. J’aime cette manière de mettre en scène et de décaler la réalité.

Vous avez mis les Béruriers noirs et Grauzone dans la musique du film. C’est votre héritage d’ancien batteur d’un groupe de rock ?

Je faisais partie de la new wave et du mouvement post-punk et je n’ai pas l’impression que cette musique n’existe plus. Elle a pu prendre d’autres formes et elle reste très écoutée.