Festival Cinemed 41 : André Téchiné, cinéaste du sud
L'un des plus grands cinéastes français se raconte
André Téchiné est l’un des plus grands cinéastes français, à la fois portraitiste des âmes, épris de romanesque. Et homme engagé. Il était invité d’honneur du 41e festival Cinemed à Montpellier. Une occasion pour lui et nous de revenir sur son captivant parcours de cinéma.
Un paysage est un personnage à part entière
Une heure et demie durant, André Téchiné s’est raconté, parlant en introduction des paysages du sud qui font partie de manière récurrente de ses films (vingt-trois à son actif). Né à Valence-d’Agen, il a beaucoup capté la lumière du Tarn-et- Garonne, celle des montagnes des Pyrénées, parce qu’il s’agissait d’un terreau natal pour lui. L’Adieu à la nuit, son dernier film avec Catherine Deneuve, se situe précisément près de Perpignan. Une région dans laquelle il avait envie de retourner. Pour sa physionomie, sa lumière. Comme un retour aux sources.
Dans Quand on a 17 ans (2016), il a filmé les Pyrénées et l’Ariège. Les paysages de ce film écrit avec Céline Sciamma, est la concrétisation d’une procédure habituelle pour lui visant à ce que les paysages de ses films existent comme un véritable personnage. La montagne dans ce film est, de fait, un personnage à part entière : Tom (Corentin Fila) vit très loin et la montagne d’où il vient correspond à un monde magique, elle a un caractère quasi merveilleux. C’est tout naturellement que Tom est capable de plonger dans un lac glacé, l’idée consacrée étant aussi de faire en sorte que la nature soit le paysage intérieur du personnage.
En revanche, André Téchiné confirme que, même si ces paysages ont des résonances dans sa vie, cela n’a absolument rien d’autobiographique : il s’agit du jeu de l’écriture, le but étant de parler de gens autour de lui qui ont compté et de réussir à camper des caractères. Téchiné précise qu’il s’identifie sans exception à tous ses personnages, sans que l’un d’entre eux le représente jamais personnellement.
Toujours envisager de faire son film suivant contre le précédent
André Téchiné reste marqué par son profil provincial. Recalé à l’IDHEC au début des années soixante après une école préparatoire, il ne se démonte pas et envoie un texte critique aux Cahiers du cinéma, sur La Peau douce de François Truffaut, film qu’il voulait défendre. Par bonheur, le papier est publié. Il deviendra critique. De ces années, il garde un souvenir intense d’un entretien avec Luchino Visconti à la Mostra de Venise et de la chance de fréquenter Jacques Rivette ou encore Jean Eustache. Assistant sur L’Amour fou de Rivette, il observe une méthode de travail qui le désarçonne un peu et pour laquelle il ne sent pas utile : Rivette, c’est le contraire d’un travail classique. Sans scénario, le film s’écrit au jour le jour dans l’interaction avec l’improvisation des acteurs.
Téchiné se consacre dès lors à l’écriture d’ Aloïse, premier travail professionnel en dehors des piges aux Cahiers. Proche de l’actrice Bulle Ogier, il tourne avec elle un court-métrage en 1967, qu’il transformera en long en 1969. C’est Paulina s’en va. Le film, sélectionné à Venise, n’obtient pas de prix. Alors qu’il a déjà en tête le scénario pour Les Soeurs Brontë, qu’il ne parvient pas à monter, il réalise Souvenirs d’en France (1975) avec Jeanne Moreau. Le budget du film n’est pas élevé, mais il a un certain retentissement critique et lui apporte le succès dans le métier. Sa carrière est lancée. Il fait équipe avec la même scénariste (Marilyn Goldin) pour réaliser Barocco avec Isabelle Adjani et Gérard Depardieu, puis tourne le dos au réalisme de l’époque en parvenant à concrétiser enfin Les Soeurs Brontë (1979) avec Isabelle Adjani, Isabelle Huppert et Marie-France Pisier.
Par la suite, Hôtel des Amériques (1981) avec Catherine Deneuve et Patrick Dewaere s’avèrera différent, bien moins stylisé. Rendez-vous (1985) avec Juliette Binoche et Lambert Wilson est une histoire de fantôme très hanté par le théâtre. André Téchiné admet qu’il envisage toujours de faire son film suivant contre le précédent. Dans un désir perpétuel de renouvellement. C’est ainsi qu’il avance. Et chaque film édicte ses propres règles comme une plongée dans l’inconnu. Une aventure humaine et esthétique nouvelle à chaque fois.
Ma volonté de maîtrise des acteurs a volé en éclats en rencontrant Catherine Deneuve
André Téchiné raconte qu’il voyait la direction d’acteur comme un « théâtre de marionnettes » liées à la voix et à la gestuelle des corps. Néanmoins, à la suite de sa première rencontre avec Catherine Deneuve sur Hôtel des Amériques (1981), cette volonté de maîtrise vole en éclats. Il est fasciné par la présence de l’actrice. Il l’observe comme une sort de sphinx, tentant de déchiffrer son mystère. Dire de Deneuve qu’elle est belle est un véritable cliché. Mais ce qui le trouble chez elle, c’est de réaliser qu’elle semble posséder des réserves inépuisables.
Il a atteint à plusieurs reprises une sorte de « plafond » avec d’autres acteurs, sachant pertinemment qu’il ne pourrait pas aller plus loin avec eux. Mais avec Catherine Deneuve, il a toujours eu le sentiment qu’en dépit de son expérience, elle a toujours l’air d’avoir gardé la grâce de la débutante, comme si c’était toujours la première fois. Téchiné a toujours eu l’art de mélanger des acteurs confirmés avec des débutants, dans la perspective d’une forme d’apprentissage réciproque au bénéfice des deux. Par exemple, selon lui, Catherine Deneuve peut être « mauvaise » si l’acteur en face d’elle n’est pas bon. Sur Le Lieu du crime (1986), le cinéaste avait particulièrement voulu créer une mise en danger entre elle et le jeune acteur qui interprète le rôle de son fils (Nicolas Giraudi). Et en même temps, l’intention était aussi d’établir une forme de solidarité entre les deux.
Un film doit garder son mystère, c'est au public de prendre le relais
André Téchiné voue une grande admiration aux militants, mais n’aime pas les films dits « à message ». Il préfère qu’un film garde son mystère jusqu’au bout et que le public prenne le relais avec sa propre réflexion. Par ailleurs, l’interprétation du spectateur a beaucoup d’importance pour lui, car c’est une chose sur laquelle, comme tout cinéaste, il n’a pas d’emprise. Il se rappelle une anecdote autour du film Les Roseaux sauvages (1994), où, pour lui, il s’agissait davantage de traiter de questions sur la guerre d’Algérie et de l’intrusion d’un pied-noir dans son école. En parallèle, le public a focalisé sur l’homosexualité du personnage de Gaël Morel. Dans ce cas, il faut savoir lâcher prise.
L’Adieu à la nuit (2018) est un autre film mettant en exergue le regard d’implication au monde d’André Téchiné. Pour ce film, il a cherché à donner un point de vue de sa génération, Catherine Deneuve étant un double idéal pour lui, sur des jeunes Français vivant le djihadisme.
C’était aussi proposer à Catherine Deneuve une expérience nouvelle, celle de dompter les chevaux, d’être pédagogue avec des élèves et de tenir au fond un rôle de combattante, car elle se révolte pour empêcher son petit-fils de partir en Syrie. Catherine Deneuve a, selon lui, la puissance et la sensibilité d’une grand-mère très courageuse. Le cinéaste admet qu’il a été très hanté par ce sujet, précisant qu’il y avait surtout un enjeu d’exactitude par rapport aux djihadistes. Il s’est donc abondamment documenté et a abordé le sujet par les interviews menées par David Thomson, grand reporter spécialiste de la question, le cinéaste ne voulant surtout pas inventer des paroles de jeunes avec un furieux désir de sacrifice.