Rencontre avec Christopher Smith, réalisateur

Détour

Christopher Smith a lancé sa carrière sur des chapeaux de roues. Son premier film, Creep, avait été plébiscité par les Cahiers du cinéma dans l’hexagone. Depuis, il passe d’un genre à l’autre, semble explorer le cinéma, ses niches et ses multiples possibilités. Il revient à Strasbourg, invité par le Festival Européen du Film Fantastique dans la sélection Crossovers, avec un petit film noir très stylisé, Détour.

D’évidence, vous appréciez de passer d’un genre à l’autre. Vous avez tourné un film de monstre, un survival, une odyssée médiévale. Et l’on vous retrouve avec une sorte de néo-noir.

On me parle souvent du fait de sauter d’un genre à l’autre, mais je vous avoue que je suis plus étonné qu’on s’abstienne de demander aux autres cinéastes pourquoi ils refont sans cesse le même film. Plus sérieusement, je n’ai pas de plan pour évoluer dans un genre ou un autre. Je m’assieds, une idée vient et ça colle. Je fais de mon mieux pour la porter à l’écran. J’ai eu l’idée de Detour en 2007 (du moins de son twist) mais je n’étais pas prêt à en rédiger le scénario. Au fond, Detour est un film plus simple que Triangle, mais sa complexité vient de l’appréhension des trois personnages principaux et du fait que les sentiments que vous pourriez ressentir vis-à-vis d’eux changent sans cesse.

Detour obéit au même processus narratif que Triangle. Il n’est pas linéaire, vous changez le point de vue sur l’histoire, comme dans une sorte d’effet Rashomon.

Je suis émerveillé par le langage du cinéma et je reste attiré par des films et des cinéastes attachés à la structure du récit. Des artistes qui permettent à la forme du métrage de devenir un personnage du film, à la manière de Godard, Kiarostami ou Tarantino. Je pense sincèrement que, si on l’utilise correctement, la structure enrichit les personnages et l’histoire dans son ensemble. Dans Detour, Harper, le personnage de Tye Sheridan, est forcé de vivre avec les choix qu’il fait et le fait d’observer ces choix s’offrir à lui en concurrence l’un de l’autre, de manière non linéaire, renforce le drame.

Tye Sheridan, puisqu’on l’évoque, a débuté sa carrière en tournant avec Terrence Malick et Jeff Nichols. Aviez-vous l’impression de tourner avec un comédien expérimenté malgré son jeune âge ?

Tout d’abord, Tye est un être surprenant. Il a une grande maturité. Il a 19 ans, j’en ai 45 mais quand on boit une bière, j’ai l’impression de parler à une personne de mon âge. Je pense que c’est une des raisons de son succès, comme s’il était né bien plus tôt et qu’il nous menait en bateau avec une sorte de secret. Ce qui est formidable, c’est lorsqu’il parle de Tree of life en précisant qu’au moment du tournage (il avait 9 ans !), il n’avait aucune idée de l’auteur avec lequel il travaillait. À l’inverse, je suis sûr que Malick avait compris le talent qu’il allait révéler.

Vous êtes un cinéaste anglais et vous avez tourné ce film en Californie. En tournant un film noir à Los Angeles, vous aviez conscience d’évoluer en pleine mythologie du genre ?

Absolument ! Ce film est la lettre d’amour d’un cinéaste anglais à l’Amérique. Quand les américains viennent tourner à Londres, ils filment toujours Big Ben, tout comme des cinéastes étrangers venant tourner à Paris ne pourraient s’empêcher de filmer la Tour Eiffel. Nous sommes insidieusement attirés par ces clichés, mais, en fait, ça ne m’inquiétait pas vraiment.

Le film commémore une époque où vous pouviez faire une halte dans un diner, sur une route déserte et tomber amoureux de la serveuse. L’écho de l’œuvre de Lynch s’infiltre partout dans Detour. C’est indéniable même si c’est, pour ma part, inconscient.

BANDE A PART, partenaire de la section Crossovers du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg.