Je me suis demandé si c’était jouable, parce que quatre films de fin août à février, ça faisait beaucoup. J’ai commencé par le Wenders, puis j’ai fait le film de Jacquot, avec à l’intérieur celui d’Asia. Quand le Jacquot s’est terminé, j’ai commencé Samba, qu’on a tourné d’un bloc. Puis j’ai terminé le film de Wenders en hiver. Tout était imbriqué. J’ai failli lâcher un projet parce que c’était trop, mais j’y tenais assez pour trouver des solutions. Ça a été très intense. Et j’ai vécu un gros drame dans ma famille. Je n’ai pas envie de tourner dans l’immédiat.
Je pense qu’on se fabrique des affinités particulières. Tout était extrême pour moi, quand je passais du film de Jacquot où j’étais relativement moi, à celui d’Asia, où c’était surjoué avec les costumes, le maquillage, la coiffure. Pour le coup, c’était un rôle de composition. Je ne pense pas que je sois une mère aussi horrible et égocentrique que celle-là, et physiquement ce n’est pas du tout moi. Ça me demandait un tel effort mais c’était très marrant. Je débarquais sur un plateau totalement hystérique, avec peu de moyens. Les Italiens parlent très fort, c’est le bordel, à l’opposé du film de Jacquot et ça m’aidait beaucoup. C’était une parenthèse. Quand je suis sortie de ce film, c’était très simple de revenir à quelque chose de plus tempéré, comme ce que je connais. Pour le Wenders, c’était très douloureux, parce que mon personnage a le nom de ma sœur que j’ai perdue. Le tournage était donc en deux parties, et j’ai dû y retourner. C’était très douloureux, mais il le fallait. C’est comme pour Samba, puisque j’y ai vécu la mort de ma sœur. Ils m’ont laissé du temps, un mois. Puis il a fallu y retourner. Un film a peu d’importance, il y a des choses plus importantes dans la vie. Le retour sur le film de Wenders était très évident quant à l’état de souffrance, parce que c’était ce que je vivais. On s’arrange avec. Non pas qu’on se serve de la réalité, parce que je ne voulais pas toucher à ma vie privée. Mais on cherche toujours dans ce qu’on a vécu, sans vouloir articuler autour d’une réalité. Quand j’ai fait Antichrist ou le Wenders, où je perdais un enfant, je ne voulais même pas imaginer ma vie à moi, par superstition.
Dans Samba, j’ai des scènes où j’explose. J’adore ça parce que justement ça ne m’est pas donné tous les jours. Dans la vie de tous les jours, je crie. Mais dans le jeu, on me donne rarement des rôles explosifs.
J’ai toujours souffert de ma voix. En tant que chanteuse, parce que je ne la maîtrise pas. J’ai commencé avec mon père qui aimait les accidents et que ne ce soit justement pas professionnel ni travaillé. J’ai vécu avec cette idée du « si on a petite une voix, on fait avec ». Dans la vie, les gens ne m’entendent pas beaucoup. Aujourd’hui, j’ai l’impression que j’ai une voix plus posée. Etant timide, et très timide au départ, je ne pouvais pas forcer. Les ingénieurs du son souffraient le martyre et s’arrachaient les cheveux avec cette voix qui peut ne pas être timbrée du tout. Mais mon père m’a toujours dit : « Laisse les ingénieurs du son se démerder, c’est pas à toi de parler plus fort » (rires). Je pense qu’il avait raison parce que, quand on force, on est faux ! C’est d’ailleurs dans les scènes avec un bruit ambiant et où il faut porter artificiellement la voix, que je me sens fausse. Par contre, c’est très agréable pour moi de crier. Dans Samba, j’ai des scènes où j’explose. J’adore ça, parce que justement ça ne m’est pas donné tous les jours. Dans la vie de tous les jours, je crie. Mais dans le jeu, on me donne rarement des rôles explosifs.
J’aimerais bien. Avec ma nature… je suis distraite, je n’ai pas beaucoup de voix, j’ai l’air calme. C’est plutôt quelque chose contre lequel je dois lutter.
Oui, mais je le faisais avec ma nature. Je n’avais pas l’impression d’avoir à forcer et d’essayer d’avoir un côté plus brutal. C’étaient les situations qui me portaient, mais j’étais la même.
C’est différent pour chaque film. D’autant plus quand il s’agit de pays différents. Pour le film de Wenders, c’étaient des costumiers canadiens qui ont une maîtrise totalement différente. Ils ont une banque de données de vêtements démente. C’était pareil sur I’m Not There de Todd Haynes. Tout était déjà fait et ils vont piocher dans des fripes. C’est génial. Il y a une justesse dans la réflexion et dans ce qu’ils trouvent. Bien sûr qu’ils doivent patiner, mais on n’a pas grand-chose à faire. Quand je faisais L’Effrontée et La Petite voleuse, j’allais dans une énorme friperie avec Jacqueline Bouchard, la costumière des films de Claude Miller. On trouvait tout ce qui correspondait. Il n’y avait pas de vêtements neufs et c’était génial parce que c’étaient des habits vrais, ça donnait un vécu. Aujourd’hui, on fait du shopping et il faut vieillir les vêtements. C’est beaucoup plus difficile d’élaborer les personnages parce qu’on a moins de possibilités. J’ai travaillé avec de très bons costumiers en France et les metteurs en scène ont des envies très différentes les uns des autres. Avec Benoît Jacquot, c’était : « Je te laisse faire, à toi de voir avec la costumière, du moment que t’es contente, c’est ça qui compte ». Il voulait juste une paire de 501 avec des boutons. On est parti de ça avec la costumière pour élaborer un personnage qui fait sens. J’ai besoin de m’accrocher à quelque chose que je connais. Là, c’était une image peut-être proche de ma mère. Le côté grand manteau, pantalons et chaussures plutôt de mecs. Pour Samba, rien ne s’imposait dans le scénario, mis à part le fait qu’Alice soit provinciale, seule chose qui pouvait un peu typer les costumes. Elle était plutôt bourgeoise, mais il fallait faire comprendre qu’elle avait de l’argent, qu’elle avait plutôt réussi dans la vie, mais que ce « burn out » se traduise aussi par ses vêtements et par un laisser-aller. Je ne voulais pas me baser sur une silhouette trop familière, donc j’ai voulu mettre des escarpins tout le temps, ce qui n’est pas commode ni confortable l’hiver ! Je trouvais que ça participait au côté bancal et fragile. Ce sont de petites touches. Les costumiers vous apportent leur intelligence et leur point de vue sur le rôle. Pour Asia, c’était complètement défini d’avance. Je suis allée à Rome pour tout essayer, des choses qui correspondaient exactement à des polaroïds qu’elle avait. Il fallait copier et reproduire une image qu’Asia avait en tête. Et il fallait que ça m’aille.
Aujourd’hui, on fait du shopping et il faut vieillir les vêtements. C’est beaucoup plus difficile d’élaborer les personnages parce qu’on a moins de possibilités.
Avec Asia, oui. Parce que c’étaient des robes et des tenues tellement excentriques. J’ai fait des films d’époque, mais je n’ai jamais eu un rôle excentrique en film d’époque. Là, il fallait jouer les années 1970 et 80 à fond, parce qu’elle voulait que ce soit très reconnaissable dans le temps. Il fallait forcer le trait et ça ne m’était jamais arrivé. Sur I’m Not There, il y avait aussi cette idée de rendre reconnaissable une époque avec les costumes, car le film couvrait une grande période avec des sauts dans le temps.
Oui, quand ça a du sens et qu’on ne se sent pas faux. Mais c’est facile de se sentir faux si c’est complètement artificiel. Et là, ça ne marche pas.
Je me demandais en quelle année je l’avais faite. Je réalise que je n’ai pas du tout de culture de théâtre. J’ai vu des films depuis que je suis toute petite. Le théâtre, non. J’allais voir Coluche et Zouc. Je n’allais pas non plus voir de concerts. Ce n’est pas quelque chose qui m’a portée ou dans lequel je me suis projetée. Oleanna, c’était une envie de faire cette pièce-là. J’étais allée la voir à New York et à Londres, et j’avais adoré. J’avais envie de travailler avec Maurice Bénichou, parce que c’est un acteur que j’adore et qu’il avait une méthode qui venait de Peter Brook. C’était la démarche d’aller à un cours de théâtre, plutôt que de faire une pièce et de la porter sur les planches. Je n’ai même pas fait de tournée. Je n’avais pas envie. J’ai honte de dire ça aujourd’hui, parce que normalement il faut faire une tournée province. Mais deux mois, c’était énorme. Il y a eu deux mois de préparation, je crois, que j’ai adorés. J’ai adoré les premières représentations. Après, je n’arrivais pas à me ressourcer. J’avais l’impression que ça y est, je l’avais fait. J’imagine que c’est la déformation du cinéma. Ma mère m’a pourtant toujours dit que le théâtre est génial, car justement les soirs ne se ressemblent pas. Peut-être que j’y reviendrai. Pour le moment non. Et puis j’ai eu des enfants, et c’est inenvisageable de ne pas pouvoir les coucher le soir sur une longue période. C’est LE truc qui me bloque.
Je pense à écrire des textes, en français. Je suis gênée, parce que j’aurais préféré écrire des textes en anglais, car c’est plus facile pour moi. Il y a une distance que j’aime avec l’anglais. Mais je n’y arrive pas, donc pour l’instant j’écris en français. C’est déjà une première marche pour moi, assez énorme. J’espère pouvoir participer encore davantage. Ce serait pour un album. Pour ce qui est du cinéma, c’est vrai que j’adorerais l’envisager comme un exercice. Parce que j’ai ce côté scolaire, et j’aime bien me dire que j’apprends. Mais j’ai l’impression que ça ne suffit pas. Il faut être porté par quelque chose de plus fort que ça. Il faut que je sois vraiment habitée par un sujet, et de là à l’écrire, je ne sais pas. Je serais plutôt attirée par une histoire qui n’est pas la mienne, car j’aurais trop peur de me dévoiler complètement, d’être complètement transparente.
Lars von Trier, qui fait beaucoup d’improvisation, vous demande vraiment de lâcher le texte et de le réinventer à votre sauce. Donc on est vraiment investi, dans cette volonté de laisser tomber les mots qui sont écrits.
Pas pour l’écriture. Pour Samba, Éric et Olivier m’ont vraiment écoutée dans ce qui me manquait à la première lecture du scénario, par rapport au personnage. Pendant les prises, le fait d’improviser fait qu’on devient auteur nous aussi, mais il n’y pas de temps d’improvisation. Avec eux, même s’ils nous demandaient d’improviser, ils nous balançaient des phrases auxquelles ils pensaient. On pouvait dire tout ce qui nous passait par la tête, mais ils avaient des intentions assez précises. Lars von Trier, qui fait beaucoup d’improvisation, vous demande vraiment de lâcher le texte et de le réinventer à votre sauce. Donc on est vraiment investi, dans cette volonté de laisser tomber les mots qui sont écrits. Mais qu’on invente les mots ou pas, il y a forcément beaucoup d’imprévus qui sont des inventions. Cela ne se traduit pas que dans les mots. Les accidents sont ce qu’il y a de plus intéressant, car ils ne sont pas prévus, et c’est vous qui les inventez.
Oui. Je me souviens très bien que pour Lemon Incest, la première fois qu’il m’a fait chanter, il y a eu un moment où j’ai complètement déraillé, en chantant faux. A un autre moment, il y a eu un accident sur la voix quand je monte très haut. Toutes ces petites choses qui ont fait qu’il m’a dit au bout de deux prises : « C’est bon, on a ce qu’il faut ». Il ne cherchait pas une performance de chanteuse, il cherchait des accidents qui amenaient une émotion. C’est ce que je comprends aujourd’hui.
Ils ont tous les deux une manière très explosive de travailler. Omar a besoin de se lâcher entre les prises et de se défouler, de crier, de faire rire les gens. Pour Benoît, je n’arrive pas à me souvenir si c’était un peu extrême ou pas, mais j’ai l’impression qu’il y avait aussi de petites explosions. Ils sont très timides. Leur côté comique, parler fort, cache une grande timidité. Ce sont des acteurs très sensibles. Ce n’est pas que ça leur donne des complexes, mais ça crée quand même quelque chose. Quand ils viennent au drame, ils ont une sensibilité très particulière et presque plus à vif. C’est intéressant, ça.
Je pense qu’il y a énormément d’acteurs très timides, parce que ça fait complètement sens. On n’a qu’une envie, c’est de sortir de cette timidité, de se débarrasser d’une petite voix qui nous juge constamment, d’une envie de se cacher. Ce n’est pas la souffrance, mais… J’en ai marre de ça, de ne pas être plus à l’aise, de ne pas oser plus. J’ai l’impression que je commence à peine à regarder les gens dans les yeux. Ce n’est pas une partie de plaisir. C’est un métier qui vous aide, et la scène aussi quand je fais des concerts. C’est tellement à l’opposé de moi, ça me demande un tel effort, c’est tellement contre nature… qu’évidemment j’en ai envie.
Oui, parce que j’ai vraiment du plaisir justement à me brutaliser. Et c’est pour ça que j’aime autant travailler avec Lars von Trier. Parce qu’il me brutalise dans les sentiments et sa demande est brutale, même si c’est un amour d’homme, d’une gentillesse extrême.