Les cinéphiles les plus perspicaces auront repéré Ariane Labed dès son premier film Attenberg, qui lui valut le prix d’interprétation à Venise en 2010. On l’aura croisée récemment dans Before Midnight de Richard Linklater et Une place sur la terre de Fabienne Godet, aux côtés de Benoît Poelvoorde. Le 24 décembre, elle sera à l’affiche de Fidelio, l’odyssée d’Alice de Lucie Borleteau, pour lequel elle a été récompensée à Locarno. Elle y incarne une mécanicienne sur un navire, partagée entre deux amours, dans un premier film qui mêle la littérature, la mythologie et la confusion des genres avec grâce et douceur.
En fait, je vis à Londres depuis trois ans. Avec la Grèce, je conserve un lien plutôt amical, notamment avec les gens avec qui j’ai travaillé, Yorgos Lanthimos (réalisateur de Canine et Alps) et Athina Rachel Tsangari.
Je travaillais là-bas avec ma compagnie de théâtre qui est franco-grecque et puis je cherchais une nouvelle orientation. J’ai rencontré Athina, qui m’a proposé un rôle dans son film Attenberg. Je n’avais jamais fait de cinéma et je ne me sentais pas forcément le désir d’en faire, mais je me suis dit que je pouvais tenter l’expérience une fois. Et l’univers d’Athina m’attirait. C’est comme ça que j’ai rencontré Yorgos Lanthimos qui jouait dans le film. Depuis, j’ai épousé Yorgos, et Athina, qui travaille à Harvard, m’envoie les étapes de ses scénarios. Nous sommes devenus une petite famille, en quelque sorte.
Le prix de Canine à Cannes et sa nomination aux Oscars ont mis ce cinéma en lumière, mais le cinéma dominant reste quand même le blockbuster américain.
Canine a été tourné en grande partie avec les économies de Yorgos, qui travaillait dans la publicité à l’époque. Attenberg, lui, a été soutenu par un riche financier grec, qui met un peu d’argent dans le cinéma. Ce sont des films qui ont été tournés aussi grâce au soutien de leurs amis, qui acceptaient de ne pas être payés.
Lucie a contacté mon agent et notre première rencontre s’est très bien passée. Dès que j’ai lu le scénario, elle m’a fait enfiler un bleu de travail pour effectuer une traversée entre l’Angleterre et la France à bord du bateau sur lequel travaille son amie et je me suis retrouvée dans la salle des machines. J’ai passé cinq jours avec elle à l’observer, afin de ne pas avoir l’air trop bête quand il faudrait revisser un boulon par exemple ! On est quand même ensuite passées par l’étape du casting, car il fallait que Lucie soit sûre du visage qu’elle allait donner à Alice.
Comme je viens de la danse, j’approche mes personnages de façon très concrète, très physique. J’adore qu’un personnage me fasse passer par un apprentissage technique ou physique, pour moi c’est un cadeau. J’ai fait beaucoup de danse classique quand j’étais jeune, avant de bifurquer vers le théâtre. Mais ma compagnie est plutôt dans le théâtre de geste et j’ai depuis toujours un rapport très physique aux autres acteurs, mais aussi au cadre. Ce n’est pas quelque chose que j’intellectualise, mais qui est plutôt instinctif. Dans Fidelio, les espaces réduits, qui auraient pu être un obstacle, m’ont aidée à composer mon personnage.
C’est quelque chose que j’avais observé chez l’amie de Lucie, dans sa façon d’être avec ses collègues masculins. Déjà, le bleu de travail aide à masquer les formes, à effacer la féminité. Le fait de se retrouver longtemps avec des hommes, et plus généralement en groupe, implique une sorte de mimétisme. Et certains codes de féminité disparaissent. Mais il ne s’agit absolument pas de jouer au mec.
Au-delà même de ces trois personnages, Lucie porte un regard très tendre sur tous les marins du bateau. Elle a vraiment aimé ces hommes et les figures qu’ils représentent, celui du père, celui de l’ami, celui de l’amoureux. Tous sont complexes, et quand Lucie filme des aspects masculins du comportement de mon personnage, elle va regarder le côté féminin des autres marins.
Oui, je l’ai revu à la demande de Lucie. Cette idée de la femme au milieu des machines, cette figure qui est sublime dans le film de Ridley Scott, on voulait l’approcher. Ce n’est pas un corps contre une machine, tout cela fonctionne ensemble.
Le Marin de Gibraltar de Marguerite Duras, mais aussi Le Renard des océans avec John Wayne et Lauren Bacall. Mais finalement, l’influence principale a été le voyage que j’ai effectué avant le tournage.
L’été prochain, je tourne dans le nouveau film d’Alessandro Comodin, le réalisateur de L’Eté de Giacomo, et entre-temps, j’aurai travaillé avec les sœurs Coulin (17 Filles). Il y a le film de Yorgos, dont le tournage s’est terminé en mai et qui est en postproduction. Je viens de finir le tournage du prochain film de Philippe Grandrieux. J’en suis ressortie un peu sonnée, mais c’était superbe.