Saint Trinité

Rencontre avec Fabrice Du Welz, réalisateur, Lola Duenas, actrice, Laurent Lucas, acteur pour Alleluia

Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes cette année, Alleluia marque, dix ans après Calvaire, le deuxième volet d’une trilogie ardennaise. C’est aussi, à la façon inimitable de Fabrice du Welz, une relecture d’un fait divers qui avait déjà inspiré Les Tueurs de la lune de miel de Leonard Kastle. Soit la balade d’un couple, qui, entre escroqueries et folie meurtrière, multiplie les victimes sur son passage. Baroque, trouble, mais aussi drôle, de façon inattendue, Alleluia ne laisse vraiment pas indifférent. Lola Duenas, Laurent Lucas, comédiens, et Fabrice du Welz reviennent sur l’expérience du tournage.

 


Lola Duenas


Comment s'est passé le travail avec Fabrice et Laurent : avez-vous beaucoup répété ?

On a fait beaucoup de répétitions avec la caméra, beaucoup de prises, en fait, c’était un travail très physique, très fatigant. Je pense que Fabrice, qui était très proche de moi pendant le tournage, a fait la moitié de mon travail.

Combien de temps de tournage avez-vous eu ?

Six semaines, très intenses. Comme je donne tout à la première prise, leur multiplication a parfois été difficile à gérer.

Vous avez à l'écran une grande complicité avec Laurent Lucas. Comment êtes-vous parvenus à cela ?

Encore une fois, c’est vraiment le talent de Fabrice d’avoir su créer cette atmosphère entre nous.

Avez-vous fait beaucoup de postsynchronisation ?

Fabrice parle beaucoup pendant les prises, il nous accompagne, c’est un vrai luxe. Donc oui, nous avons fait de la post-synchro, un peu sauvage, comme le tournage du film.

Comment avez-vous travaillé le mouvement de votre personnage ?

Lors des répétitions avec la caméra. Ce travail a été très important pour le rendu final. On a un peu travaillé ça comme une danse. Je pense notamment à la scène du mariage, où il y avait un plan très long.

Le film mélange l'humour et une grande noirceur...

C’était très important pour moi qu’il y ait cette part de comédie dans le film, sinon il serait difficilement supportable. Il y a aussi la tendresse, l’amour fou, on retrouve toutes les émotions. Pour moi, le film est très universel. Après, le film est très fort, tu l’adores ou tu le détestes.


Laurent Lucas


Comment se sont passées les retrouvailles avec Fabrice Du Welz ?

Comme Fabrice avait tourné deux films sans moi, je me demandais s’il ne m’avait pas oublié. Puis il m’a recontacté pour me dire qu’il refaisait un film dans les Ardennes. Le deuxième volet de sa trilogie. J’ai tout de suite trouvé le scénario encore plus fort que celui de Calvaire en matière d’écriture.

Qu'est-ce que ça vous a fait de passer du statut de victime à celui de bourreau ?

Encore aujourd’hui, je ne vois pas le personnage comme un bourreau. Il prépare ses petites entre-prises de séduction, mais c’est lui, finalement, qui se fait vampiriser par le personnage de Gloria. En fait, je le vois plus comme une victime que comme un bourreau.

Les scènes étaient-elles très écrites ?

Avec Fabrice, c’est tellement travaillé et retravaillé que tu n’as pas envie de changer quoi que ce soit, c’est une petite musique parfaite. Les seules modifications étaient apportées par Fabrice pendant les répétitions : en nous voyant jouer, il s’approchait de nous pour nous faire ajouter ou retrancher des choses. Il faisait beaucoup évoluer les scènes pendant le travail, c’était impressionnant.

Vous avez senti une évolution entre Calvaire et Alleluia ?

Fabrice est devenu un grand directeur d’acteurs. Il arrivait sur le plateau détendu, mais avec beaucoup d’énergie. On était un peu en état de grâce. C’était un tournage très heureux.

Fabrice vous a-t-il montré Les Tueurs de la lune de miel ?

Non, on pouvait le regarder, on savait qu’il y avait un rapport entre les deux films, mais j’ai préféré ne rien voir. Je préfère travailler sur le texte qu’on me propose et ne pas avoir d’idées préconçues. Comme pour une pièce de théâtre.

Ce qui est intéressant dans le personnage, c'est sa forte dualité...

C’est un escroc, mais il souffre aussi. Il a aussi un côté enfantin. Mon personnage fait un travail et il estime qu’il doit être rétribué, même s’il n’est pas honnête. Mais finalement, ça nous concerne un peu tous : on n’a pas toujours été très glorieux dans la vie, quand on y réfléchit, même si on n’en fait pas un business.

Les personnages sont en cavale constante, mais on ne voit jamais la police.

Je ne peux pas trop parler de l’histoire, car je n’ai pas encore vu le film en entier, seulement certaines scènes pour la post-synchro. Mais Fabrice a réécrit beaucoup de choses au montage : le premier bout-à-bout faisait 2h30, il a fallu peaufiner tout ça.

© Yann Vidal

Fabrice Du Welz


Pourquoi le choix du 16mm ?

Je n’envisage pas de tourner en digital. Je n’avais pas les moyens de tourner en 35mm, donc j’ai choisi le super 16. Calvaire était déjà tourné en super 16, c’est un format que je connais bien, que j’aime beaucoup et qui me permet de malmener la pellicule. Pour moi, c’était une évidence.

On aurait pu croire que le film allait ressembler à Calvaire, mais ils sont finalement très différents.

Heureusement. J’ai tourné les deux films à des endroits différents, mais ce sont à chaque fois des Ardennes qui n’existent pas, c’est un réalisme magique. L’idée c’était de faire un road movie sans route.

Pourriez-vous nous parler du choix du format scope et des nombreux gros plans du film ?

A aucun moment je n’ai voulu faire un film de styliste. Par exemple, sur Vinyan, j’ai pensé le film plus que je ne l’ai incarné. C’était une volonté de départ. Ici, j’ai voulu faire un film de personnages avant tout. Je voulais traquer la vie dans mes personnages. Après, il y avait des scènes que j’avais théorisées, puisque je travaille beaucoup en amont, notamment sur les story-boards. Mais j’ai vraiment voulu donner aux comédiens. Et donc, pendant les préparations, en voyant leur travail, j’ai parfois complètement repensé ma manière de filmer les scènes. Après, ces gros plans, ça me permettait de les filmer comme une bête à deux dos, une machine à deux têtes, une entité malade, de plus en plus déréglée.

Dans un plan du film, votre cadre s'éclaire en même temps que le visage de Lola. Comment avez-vous travaillé ça ?

Lola est prodigieuse. Je le savais. Je l’avais vue chez Almodovar, mais surtout dans Mar Adentro, où elle m’avait déjà vraiment stupéfié. Également dans Yo Tambien, où elle livre une prestation remarquable. Elle amène un vent de fraîcheur, d’inattendu, au film. Mais Laurent comme moi, on travaille plus dans la précision, et moi, j’ai besoin de temps pour construire les choses. Lola donnait tout, tout de suite. J’ai pris le parti de la suivre, même si parfois, c’était difficile, notamment au niveau des éclairages.

Lola disait que vous étiez tout le temps avec vos acteurs, notamment pendant les prises.

C’est ma manière de travailler et ça rend parfois fous les preneurs de son. Mais je ne peux pas faire autrement. J’ai besoin d’être au centre de la prise, de pousser les acteurs, de leur dire des choses : il y a un petit Mocky qui pousse en moi. Pour ça, j’ai besoin d’une confiance totale avec les acteurs. Avec Laurent et Lola, c’était parfait pour ça. Je dois être un acteur frustré, j’ai une formation de comédien. Avec Lola, on a traversé tous les deux les scènes, je les vivais physiquement avec elle.

© Yann Vidal