Il vient d’être juré au Festival du Cinéma Américain de Deauville et sera le parrain de la 8e édition du Festival Play it Again, du 14 au 27 septembre, qui met à l’honneur des films restaurés du patrimoine partout en France. Conversation avec un comédien, auteur et réalisateur au regard aiguisé et curieux.
Ma cinéphilie ressemble à mon goût tout terrain. J’aime piocher, sans prédilection particulière pour un pays ou une époque, et sans chercher à explorer l’intégralité de la filmographie d’un réalisateur. Ma génération a nourri sa cinéphilie par la télévision. J’ai découvert des œuvres de façon précoce ou tardivement. Je défends beaucoup la salle, mais tout support montrant du cinéma est intéressant. Je me souviens d’Alexandre Nevski d’Eisenstein. C’est un film qui m’a été montré dans un cadre scolaire. À l’époque, nous regardions ça avec un certain détachement. Mais avec les années, je me suis rendu compte que ce film était plus fondateur que je ne le pensais. Certaines images ne m’ont jamais quitté. On prend la mesure de la force d’une œuvre à la manière dont elle s’imprime en nous durablement. Lors du Festival du Cinéma Américain de Deauville, cette question habitait nos discussions de jurés : combien de temps allons-nous nous souvenir des images que nous venons de voir ? Pour la construction d’une cinéphilie, c’est très important : il y a des images qu’on ne peut oublier, qui entrent dans notre catalogue intérieur et fabriquent notre goût.
Oui, bien sûr. Pendant la projection de Palm Trees and Power Lines, auquel nous avons donné un des Prix du jury, bizarrement, La Fille au bracelet est remonté à la surface en moi. Sans doute parce qu’il partage avec ce film une simplicité de ton, un certain réalisme, quelque chose de dépouillé pour évoquer un sujet grave, même si ce sont deux sujets différents. Un film parfois vous amène d’autres images. Et parfois, des films, comme Roma, que j’ai eu la chance de voir en salle au Mexique lors d’un festival où je présentais Guy, ne convoquent rien d’autre que ce qu’on est en train de voir. C’est inouï, dans ce cas : ces images s’inscrivent en nous comme des instantanés presque figés. Je pense dans Roma à la scène de presque noyade des enfants avec cette nounou qui essaye de les sauver. Cette piétà-là, je ne l’avais jamais vue. Cette scène est extrêmement forte. Jacques Tati, dont on pourra revoir Mon oncle pendant cette édition de Play it again, a tracé un dessin que je n’ai jamais revu ailleurs. Ce que j’aime avec le répertoire, parfois, c’est lorsqu’un film, que j’ai découvert jeune et qui me semblait éloigné, reste en moi, évolue et mon goût vieillit avec ces images rémanentes. Je n’ai pas tout de suite ri devant les films de Tati au moment où je les ai découverts. Mais ils demeurent en moi et je n’ai aucune peine à y repenser. Et dans ce que j’ai pu faire au théâtre, il a pu m’arriver de les convoquer comme lorsqu’on se saisit d’un livre dans une bibliothèque. L’effet escompté du film agit enfin : maintenant Tati me fait rire. Il m’a fallu du temps et de l’âge pour l’apprécier.
Un immense acteur. Mais je n’ai pas envie d’y revenir souvent. Je suis bouleversé par une typologie d’acteurs qu’on peine à trouver aujourd’hui. Le naturalisme dominant fait qu’on perd les contours et dans certains films de patrimoine, on est étonné par la nature de voix, de corps, de visages qu’on y trouve. La bonne nouvelle, c’est que j’ai l’impression que ça revient. Je pense à Philip Seymour Hoffman, qui composait souvent des personnalités contrastées, et à qui quelqu’un demandait s’il n’avait pas peur d’être trop dans l’exagération. Il avait répondu : « Allez dans le métro, c’est truffé de gens exagérés ». Dans Vincent, François, Paul et les autres, j’aime cette galerie de personnages qui se rendent à un déjeuner, se retrouvent réunis dans le même cadre, et je n’ai aucune peine à croire à leurs engueulades.
Je peux avoir pour lui autant d’agacement que d’amusement. Guitry, c’est la langue et l’esprit qui me touchent.
C’est un film que j’ai découvert sur Arte quand j’avais 18 ou 20 ans. Il m’a aimanté immédiatement pour ses couleurs de jeu, et pour l’énergie très moderne de Suzy Delair, comparable à celle de Danielle Darrieux à la même époque. Ces personnalités crèvent l’écran.
C’est une des vertus de la salle et des raisons pour lesquelles il faut la défendre. Je reste plein d’optimiste quant à l’avenir du cinéma. J’ai confiance dans la jeunesse et dans le fait qu’elle le sauvera. Je pense aussi que les équipes de films ont intérêt à continuer d’être présentes dans les salles. Peut-être que les salles auront un jour la patine qu’a le vinyle aujourd’hui et qui est le support qui se porte le mieux dans l’industrie du disque.
Celle de Catherine Deneuve dans La Vie de château. Elle a une rythmique unique, un débit, une manière de suspendre les phrases, une oralité très intéressante.
Celui, à l’ouverture, où l’on diffuse le clip qui annonce les films programmés. Je chiale à chaque fois ! On se dit : « Oh, il va y avoir ça, et ça, et ça, et elle ou lui était si bouleversant dans ce film, et cette mise en scène était tellement audacieuse… ».
Je crois que c’est un alignement de planètes, où tout à coup rien ne vous sort de ce moment. J’ai l’impression que la grâce convoque plusieurs éléments qui font qu’on la ressent : un son au bon endroit, au bon volume, à la bonne vibration, une température, une vue, quelque chose qui donne la sensation que nos sens sont alignés.
C’est vrai que j’ai trouvé qu’After Sun, à qui nous avons donné le Grand Prix, avait de la grâce.