Le Miracle du saint inconnu fait le tour du monde depuis sa présentation à la Semaine de la Critique à Cannes en mai dernier. Une fable burlesque au ton subtil et alangui, en plein désert marocain. L’heure de la sortie française de ce premier long-métrage a sonné. L’occasion de dialoguer avec Alaa Eddine Aljem, son auteur-réalisateur inspiré, solaire et drôle, au moment où de nouveaux vents cinématographiques du Maghreb soufflent et revigorent.
Ce serait deux couleurs, bleu et jaune.
Du vent.
Une petite rythmique de guitare. Entre sonorité africaine et western.
… C’est dur parce que dans le désert, vraiment, ça ne sent rien ! Ah si, ça sentait le troupeau de moutons pendant le tournage !
Un chien.
C’est précisément celle que j’avais en tête. J’y avais déjà tourné quatre fois. En 2007/2008, il y avait juste une piste rocailleuse, sans eau ni électricité. Trois ans plus tard, j’y ai filmé un autre court-métrage. Cette fois, il y avait l’eau, et l’électricité était en train d‘être installée. Puis je suis revenu en 2015 pour Les Poissons du désert. Il y avait l’eau, l’électricité, une route en train d’être tracée et le village en expansion. Enfin, en 2018, il y avait la route goudronnée, l’électricité, l’eau, le village agrandi, avec une petite école, et des hôtels de luxe tout autour, proposant aux touristes des nuits dans le désert. Et cette colline au milieu, surplombant toutes les autres, avec une très belle vue. Toutes se ressemblent, à part celle-là. Elle est beaucoup plus grande et assez symétrique. La seule difficulté, c’est que ce désert est désormais assez peuplé. C’était tout un défi de rendre cet effet d’aridité. On a beaucoup triché. Dès qu’on tournait la caméra de cinq centimètres à droite, on voyait un groupe de touristes allemands en train de danser sur des dromadaires. À cinq centimètres à gauche, c’était une course de motocross. Sans parler du son ! Aucune paroi, rien qui bloque le son. Il suffisait que quelqu’un parle de l’autre côté pour l’entendre très proche. Extrêmement dur d’avoir le silence.
C’est un humour absurde, avec un grand sens de l’autodérision. Ce n’est pas le cas dans le film, mais on tourne des situations en dérision. Ces petites absurdités du quotidien. Et il y a des archétypes qui sont très familiers. Le coiffeur-dentiste, les Marocains le connaissent, même s’il n’existe quasiment plus, à part dans quelques villages. Tout le monde riait aussi au Festival de Marrakech avec le médicament jaune. Tout Marocain de plus de trente ans doit connaître son équivalent. Quand j’étais petit, la pharmacie de base était composée de coton, de Bétadine et d’une espèce de petite pommade jaune, à la base pour les yeux, mais qu’on utilisait pour tout soigner. Le remède miracle. On me l’a fait bouffer, bouillir dans l’eau, donné pour une indigestion, pour désinfecter une blessure, pour traiter des boutons, des problèmes de peau, dans les oreilles, le nez, la bouche, tout ! Indispensable et ça ne coûtait rien.
Oui ! C’est ça qui était drôle. Je ne sais pas ce qu’ils mettaient dans cette pommade et si elle existe encore. Tout le monde au Maroc réagit en voyant les boîtes de paracétamol du film, et même sur les réseaux sociaux.
Pas une projection, mais il y a eu la cérémonie de clôture au Festival de Marrakech ! Chaque rangée était occupée par une équipe de film, dont celle, tunisienne, de Tlamess/Le Sortilège d’Ala Eddine Slim (en salle le 19 février, ndlr). On était convaincus qu’on allait avoir un prix, parce que toute la semaine, tout le monde nous faisait des louanges. Après les prix d’interprétation et le prix du jury attribués à d’autres, je me suis dit : « Ça s’annonce bien ». Tilda Swinton lance : « Prix de la mise en scène à Ala Eddine… ». J’étais en train de parler avec un de mes acteurs. Je vois toute la salle qui se lève, applaudit, me regarde, et Anas El Baz, qui joue le médecin, qui se lève aussi et me fait : « Bravo ! C’est mérité ! ». Les gens derrière font : « Vas-y, lève-toi ! ». On est retransmis en direct à la télé. La caméra en train de filmer arrive sur moi, je me lève et je commence à remercier la salle. Et là, quelqu’un vient vers la caméra et dit : « C’est pas lui, c’est l’autre ! ». La caméra redescend plus bas et cadre Ala Eddine, donc Slim, en train de dire : « Mais c’est moi ! ». Et moi, je suis là, debout, je regarde autour, et dans un moment très glamour, je referme le col de ma veste et je m’assois ! Quand elle voit que Tlamess est écrit sur scène, toute la salle fait « Ooohhhh ». Heureusement que j’ai vu le mec de la caméra, sinon j’étais capable de monter sur scène et de remercier je ne sais pas qui !
Je n’en ai pas de favori. Mais il y en a énormément que j’aime beaucoup. J’avais adoré Snow Therapy de Ruben Östlund. Ce n’est pas vraiment burlesque, mais il y a cet humour un peu froid, scandinave, que j’apprécie beaucoup. Intervention divine d’Elia Suleiman aussi.
En France, c’est Suleiman. En Europe, c’est davantage Kaurismäki, et pour la presse anglophone, ce sont les frères Coen, mais toujours avec la spécification « dans le Maghreb ». Il y a même un magazine qui a rebaptisé le film « Fargo dans le désert ». Je trouvais ça rigolo.
Je ne pense pas qu’il y en ait un en particulier. Je ne viens pas d’une famille extrêmement cinéphile, au contraire même. Les premiers films que j’ai regardés, c’étaient les Charlie Chaplin, que j’adorais. Je continue encore à en regarder. C’est un humour universel, qui ne vieillit pas. C’est drôle, mais ça raconte énormément de choses sur la société de l’époque, et qui sont encore assez contemporaines. Je trouve assez fort que, sans dire un mot et avec cet humour visuel, on puisse faire rire autant de gens.