Tim, les yeux dans les yeux
Son dernier film s’intitule donc Big Eyes. Les grands yeux. Et il y eut rarement de titres aussi efficaces pour résumer l’œuvre d’un cinéaste. Lui-même ne planque-t-il pas ses mirettes derrière des lunettes bleues ? Regard non exhaustif sur les regards chez Mister Tim Burton, en quatre temps.
LES SYMBOLES
Voilà bien la veine de Burton ! Ses personnages enfantins finissent toujours par se heurter à la réalité des choses. Leur regard, miroir de leur âme, qu’ils avaient plus ou moins réussi à préserver, leur cause des soucis, et les voilà embarqués dans des aventures inimaginables. Avec des conséquences… inattendues et qui changent selon l’âge de leur créateur. Ainsi le petit garçon avec des clous dans les yeux (dans le recueil La Triste Fin du petit enfant huître et autres histoires) fait-il tranquillement son sapin de Noël, sans se soucier du qu’en-dira-t-on. Ainsi l’innocence d’Edward ne peut-elle s’adapter à la société (et au contact des femmes, ces créatures charnelles). Et c’est de son manoir où il s’est renfermé qu’il envoie sa poésie et son regard innocent sur le monde réel, en flocons de neige immaculés. Et puis, il y a Big Fish, bien sûr ! C’est peut-être le film du réenchantement pour Burton. Un tournant dans sa carrière. Le voilà montrant un conte au premier degré, avant de nous faire comprendre, entre autres, en un plan ou presque, que ce qui comptait, ce n’était pas la véracité des propos tenus par le père, mais bien la façon dont il apprenait à son fils à regarder le monde. Une histoire de point de vue, une parfaite métaphore du cinéma, du regard et de sa magie.
LES FILLES
Difficile de trouver des personnages féminins principaux chez Tim Burton. À croire que le réalisateur est resté bloqué à l’adolescence, où les femmes sont des êtres un rien étranges et mystérieux (et un peu effrayants aussi). Quelques magnifiques spécimens sont à trouver du côté de Batman, par exemple. Avec une Catwoman au masque largement dégagé autour des magnifiques yeux bleus de Michele Pfeiffer. Ou chez la mariée des Noces Funèbres, aux grands yeux tristes, et un rien coquins. Ainsi, comme dans son conte Voodoo Girl, les yeux des femmes sont-ils toujours des pièges pour le cinéaste Burton, entraînant les pauvres hommes dans des abîmes insondables de tourments et d’aventures. Ah… si elles n’étaient pas là, ces messieurs pourraient sûrement continuer à vivre derrière leurs fards ! Une fois arrivées, elles les forcent à se poser des questions, à chambouler leurs vies. Ils sont peut-être plus heureux après, mais quelles tribulations pour en arriver là!
LES « MAQUILLÉS »
Étrangement, chez Tim Burton, les personnages qui se maquillent les yeux semblent être ceux qui se cachent le moins. Du chapelier fou à Beetlejuice, ils portent leurs excès et leurs folies dans leurs pupilles. Folies douces, bien sûr, qui semblent parfois plus saines que le monde qui les entoure, c’est le principe chez Burton. Ainsi les pupilles colorées du chapelier fou lui permettent-elles de voir un monde différent et de retrouver dans le monde d’Alice une logique qu’il n’aurait sûrement pas perçue autrement. Chez Beetlejuice (Beetlejuice, beetlejuice ! Le voilà trois fois invoqué, vous êtes foutus !), le noir autour des yeux lui permet de voir au-delà du cynisme qui entoure son retour dans le monde réel. Et puis, il y a le regard le plus enfantin qu’on puisse trouver, celui qui porte au creux de ses orbites la naïveté et l’enfance : celui d’Edward. Ses mains d’argent l’ont coupé, son regard est plein de cicatrices que la bonne âme Peg Boggs essayera de réparer tant bien que mal, avant de comprendre que son innocence, que le monde a blessée et qu’il porte dans ses yeux, est ce qui le rend particulier. Un être pur, dont le regard renvoie tout un chacun à sa propre humanité.
LES « NORMAUX »
C’est vite dit. Personne n’est vraiment « normal » chez Tim Burton. Normal, c’est-à-dire dans la norme, celle qu’il a fuie toute sa vie. Celle qui rend ses personnages un rien… anormaux, précisément. Disons qu’il s’agira ici de ceux qui ont un regard sans maquillage… Il y a, par exemple, Ed Wood et Pee Wee Herman. Des personnages aux regards sans cesse écarquillés, hallucinés, qui ne voient pas la vie comme les autres. Ajoutons-y les masqués comme Batman, les « lunettés », de Willy Wonka et les lunettes rondes du cinéaste lui-même… Ses personnages sont tellement eux, tellement à vif, qu’ils ne peuvent pas supporter le monde tel qu’il est. Les voilà protégés de leur excès d’enthousiasme qui, autrement, cause leur perte. Une protection autant qu’un moyen de se cacher des autres, de la même façon que leurs yeux exorbités cachent leur vraie nature et leurs vrais sentiments aux yeux du monde.