En 1984, alors que s’affichent sur les écrans Gremlins et S.O.S Fantômes, quelques journalistes de la revue Mad Movies, aficionados de cinéma de genre et cinéastes amateurs décident de créer à Paris le premier festival français de films fantastiques tournés en Super 8, seule caméra à l’époque accessible au grand public. Le documentaire Super 8 Madness !, réalisé par Fabrice Blin et édité en DVD par Metaluna Productions, rend compte de cette époque bénie.
Qu’on soit de la génération X, Y ou Z, on connaît tous le Super 8, comme le Polaroid. Des artefacts sacrés pour les enfants du numérique, une Madeleine de Proust pour ceux qui ont grandi avec l’analogique. Comme J.J. Abrams, qui a dédié à la petite caméra son blockbuster homonyme. Et à l’instar de Super 8, ou de la récente série Stranger Things, Super 8 Madness ! commence par un gamin à vélo. Bien sûr, ce n’est pas du côté des frères Dardenne qu’il faut chercher la référence. « On a voulu rendre hommage à Amblin, parce que c’étaient les films qu’on voyait systématiquement à l’époque où l’on faisait du Super 8, explique Jean-Marc Toussaint, producteur et monteur du film. Spielberg, c’était pour nous la référence : on savait tous qu’il avait commencé en faisant du Super 8 ». Une banlieue qu’on dirait américaine, un blouson type Teddy, un bicross vintage : on s’y croirait. Alternant avec des séquences documentaires plus classiques, ces scènes de fiction viennent souvent illustrer le propos.
Les plus jeunes, trop lassés des filtres Instagram et qui ont voulu retourner à l’authentique, le savent, et les plus anciens se souviennent : le Super 8, c’est du cinéma, du vrai, et donc, c’est technique. « Quand tu filmais, tu n’avais aucune idée du résultat : il fallait faire développer le film, et attendre quinze jours pour avoir une bonne ou une mauvaise surprise », se souvient Jean-Marc. Et encore, si le tournage pouvait être un moment de franche rigolade, le montage était une autre paire de manches. Un travail d’une grande minutie, illustré par l’exemple dans les scènes de fiction – presque un tutoriel en soi. Selon Jean-Marc Toussaint, « les mecs qui faisaient des films savaient comment fonctionnait un film ». Pas étonnant si beaucoup ont fini par travailler dans le cinéma.
Gore oblige, le Super 8 fantastique était aussi une formidable école de maquillage. Car ce qui fascine surtout dans ces courts-métrages (dont certains sont disponibles en intégralité en bonus du DVD), c’est l’ingéniosité et l’originalité des maquillages et des prothèses. « On recevait parfois de simples bandes démo d’effets spéciaux », se souvient Jean-Marc Toussaint, qui a fait partie du comité d’organisation du festival. Mais dans le lot, se démarquaient malgré tout quelques réalisateurs avec une vraie vision d’auteur. Certains des plus prometteurs sont décédés bien trop jeunes, comme victimes de la malédiction du cinéma fantastique français. On découvre ainsi le talent de Bruno Lermechin, réalisateur génial de petits bijoux d’animation poétique au destin tragique, sorte de Jim Morrison du Super 8. S’il est la pierre angulaire du film, Super 8 Madness ! reste d’abord un film de groupe, de communauté. Une communauté cinéphilique bien loin des canons et des académismes. Une communauté rassemblée autour de fanzines et de cinéma de genre. Jean-Marc est formel : le Festival Super 8 était une sorte de Comic-Con avant l’heure.
AUX SOURCES DU GEEK
« Attention, séquence prétention : je pense qu’on est un peu à l’origine de la culture geek en France ! », plaisante Jean-Marc. N’empêche. Le cinéma des jeunes gens du Festival Super 8 était surtout un cinéma de citation. Presque tarantinesque avant la lettre. Depuis l’âge de dix ans, ils connaissaient les dialogues de King Kong par cœur, au grand dam de leurs parents qui auraient préféré qu’ils apprennent des choses plus sérieuses. Tous adolescents ou jeunes adultes, les films de genre, le cinoche fantastique et d’horreur, celui défendu par Mad Movies, fut leur école de cinéma. « On idolâtrait des mecs que tout le monde montrait du doigt, des gars comme Carpenter, ou comme le maquilleur Dick Smith », se rappelle Jean-Marc Toussaint. Ils adoraient les histoires qu’il était de bon ton de détester : les films de Lucio Fulci, les bouquins de Stephen King ; et tenaient cette culture comme un étendard.
On assiste ainsi, presque sans s’en rendre compte, à la naissance d’une nouvelle cinéphilie, furieusement passionnée par un cinéma amusant, original et débridé. Une cinéphilie adolescente qui bricole des films comme on recopie ses personnages de BD favoris.
En ravivant ainsi le souvenir d’un étrange festival, si populaire et pourtant assez oublié, Super 8 Madness ! est une sorte de flash-back collectif, un hymne à l’adolescence et à l’amour du cinoche. Mais s’il collectionne encore les résumés de films en Super 8, Jean-Marc n’est pas pour autant mélancolique du support. « Le Super 8, c’est jamais qu’un appareil d’enregistrement. C’était comme ça qu’on faisait, parce que c’était le seul moyen à notre disposition. » Il se souvient de voyages en 4L entre potes pour tourner une scène de jardin à Meaux ou d’un Palais de la Mutualité plein à craquer au point de rendre inaudibles les films pour une tumultueuse édition du festival. « D’autres allaient en boîte, nous on tournait des films en Super 8 ». Peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse…