La compétition Crossovers du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg propose cette année sept œuvres très différentes, aux sujets diamétralement opposés. Ces films ne sont finalement réunis que par leur caractère inclassable, leur capacité à flirter avec le film de genre sans jamais adhérer totalement à l’une ou l’autre catégorie.
CREATIVE CONTROL
Dans ce récit de science-fiction minimaliste, le concept de réalité augmentée est poussé à son paroxysme. Un publicitaire, un peu accro à la bouteille, un peu accro aux pilules, un peu à l’étroit dans son couple, voit son quotidien bouleversé par une paire de « smart glasses ». Pour Benjamin Dickinson, cinéaste et comédien principal, la technologie apparaît comme un tiers encombrant qui viendrait parasiter les relations affectives, amicales, professionnelles. Premier long-métrage du réalisateur, Creative Control est une œuvre progressiste, une comédie sentimentale résolument moderne. Dans ce film, qui s’intéresse également au phénomène d’addiction, le « futur » ne présente que d’infimes différences avec notre quotidien. Dickinson s’interroge donc habilement sur l’idée d’une réalité prétendument augmentée, mais assurément pervertie et modifiée.
Creative Control • Réalisé par Benjamin Dickinson.
Avec Benjamin Dickinson, Dan Gill, Alexia Rasmussen.
DÉTOUR
Christopher Smith doit être appréhendé comme un cinéaste versatile, curieux. Depuis Creep, son premier film de monstre prenant place dans le métro londonien, il n’a cessé de parcourir les genres, du survival au film d’époque en passant par le mélodrame fantastique. Avec Détour, il s’intéresse au destin d’un jeune homme vengeur, interprété par le gamin de Mud, Ty Sheridan. Celui-ci commandite un meurtre, puis se ravise. Il devra ensuite gérer les conséquences de son choix. Smith tente donc le néo-film noir, avec ses femmes fatales, ses bars et ses tueurs ambigus. La patte du cinéaste se retrouve dans le procédé narratif, dans une sorte d’effet Rashomon, une multiplication des points de vue destinée à perdre ou, au choix, orienter le spectateur. La méthode avait connu un certain succès avec Triangle en 2009. Il l’applique cette fois à un univers éprouvé du 7ème art, à la Californie, ses autoroutes et sa jeunesse désorientée.
Détour • Réalisé par Christopher Smith.
Avec Tye Sheridan, Emory Cohen, Bel Powley.
OUTLAWS AND ANGELS
Le paradoxe du film est résumé dans son titre. Dans ce western dominé par la performance de la fille de Clint Eastwood, anges et démons se confondent pour traduire la sauvagerie du Grand Ouest américain. Un groupe de braqueurs, hors-la-loi et bandits, se cache dans la maison d’une famille puritaine. Ils sont supposés être les garants de la violence et de l’immoralité. Contre toute attente, la plus jeune des filles se joint à eux. La tendance actuelle des rares westerns sortis sur nos écrans oscille entre naturalisme et panthéisme. Outlaws and Angels est un pavé dans la mare. Un Home Invasion hyper-violent, qui prend plaisir à inverser sans cesse les rôles de ses protagonistes.
Outlaws and Angels • Réalisé par J.T. Mollner.
Avec Chad Michael Murray, Francesca Eastwood, Teri Polo.
DOGS
Présent à Cannes dans la sélection Un Certain Regard, Dogs est un premier film étonnant qui mêle drame psychologique et gangstérisme, tout en revisitant les codes du western classique. Roman revient sur les terres familiales au cœur de la Roumanie après le décès de son grand- père. Garant de l’héritage familial, il souhaite se débarrasser de l’immense propriété. Mais l’aïeul cumulait les activités malhonnêtes et ses acolytes tiennent donc à ce que rien ne change. À la jonction des genres et des cultures, Dogs propose plusieurs lectures. Il oppose une sensibilité moderne, européenne (celle de son protagoniste), à l’archaïsme des gens de terre, des bandits attachés au passé. La figure institutionnelle, le policier, fait longtemps figure de témoin immobile. Avec ce récit classique mais imposant, Bogdan Mirica vient ajouter son nom à la liste des cinéastes à suivre de la Nouvelle Vague roumaine.
Dogs • Réalisé par Bogdan Mirică.
Avec Dragos Bucur, Gheorghe Visu, Vlad Ivanov.
TRASH FIRE
Il suffit parfois d’une poignée de plans pour identifier la patte d’un cinéaste. Richard Bates Jr., réalisateur du très corrosif Excision en 2012, se distingue par ses choix graphiques, la symétrie de ses cadrages, ses longs plans fixes, mais aussi, et surtout, par un ton singulier. Il se dégage de ses œuvres une rage particulière et une indéniable soif de provocation. Trash Fire est un regard saisissant et introspectif sur un couple névrotique. Owen, interprété par Adrian Grenier, bien loin de son personnage de la série Entourage, est un homme au tempérament hargneux, dévoré par le drame de son passé, un incendie dont il ne parvient pas à oublier les conséquences. Sur le point de devenir père, il est forcé de renouer avec ses proches, et ainsi de faire un pas vers les flammes qui consument son existence. Bates Jr. construit des personnages qu’il est complexe d’aimer, des blocs de douleur qui tendent à l’autodestruction. Mais il fait évoluer le drame familial avec ce récit sans concession.
Trash Fire • Réalisé par Richard Bates Jr.
Avec Annalynne McCord, Matthew Gray Gubler, Adrian Grenier.
OPERATION AVALANCHE
Si l’on se fie à Jean-Luc Godard, le cinéma ment, 24 fois par seconde. C’est le terrain de l’illusion, l’art de la matière faussée, fabriquée, distordue pour concevoir une réalité donnée. Que dire alors d’Operation Avalanche, si ce n’est qu’il s’agit d’une illusion prenant pour sujet une supercherie. Dans ce long-métrage situé dans les années 1960, des espions infiltrent la NASA afin de débusquer une taupe. Et ils vont se trouver associés à une gigantesque fraude, en l’occurrence la mise en scène factice du premier voyage de l’homme vers la lune. Ce film américano-canadien, initialement présenté au Festival de Sundance en 2016, permet au cinéaste Matt Johnson de questionner avec humour et distance le pouvoir de l’image, de s’amuser des complotistes de tous bords et de célébrer, avec tendresse, l’innocence des sixties.
Operation Avalanche • Réalisé par Matt Johnson.
Avec Matt Johnson, Krista Madison, Samantha Michelle.
PSYCHO RAMAN
Comme Gangs of Wasseypur, précédent film du réalisateur, Psycho Raman a bénéficié cette année d’une sélection à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes. L’occasion pour Anurag Kashyap d’exposer sa vision cauchemardesque de la société indienne, et plus particulièrement des bas-fonds de Mumbai. Le long-métrage relate ainsi la traque d’un copycat, d’un tueur en série par mimétisme, obsédé par la figure d’un assassin des années 1960 (le Raman Raghav du titre original). Le flic lancé à ses trousses se révèle pour le moins borderline, accro à la cocaïne et aux femmes. Et le cinéaste évacue rapidement tout manichéisme. Il se joue des valeurs morales. Psycho Raman ainsi va bien au-delà de toute conception du polar classique. Il véhicule une sorte de fièvre et s’apparente à un conte infernal, un voyage sidérant dans des psychés déviantes. Il sera le représentant asiatique de cette compétition Crossovers du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg.
Psycho Raman • Réalisé par Anurag Kashyap.
Avec Nawazuddin Siddiqui, Vicky Kaushal, Sobhita Dhulipala.
BANDE A PART, partenaire de la section Crossovers du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg.