Les grands thèmes de Cannes 2018 : La rencontre amoureuse
Chaque cuvée du plus grand festival de cinéma au monde donne lieu à une prise de température des obsessions des cinéastes. La rencontre amoureuse a éclairé plusieurs des films phares des diverses sections 2018. Ou comment la révélation du sentiment nourrit l’écriture et l’écran. Décryptage.
Constat répété année après année. La majorité des films cannois, toutes sections confondues, tendent un reflet du monde qui révèle sa dureté, son âpreté. Guerre, massacre, survie, déshumanisation, migration, affrontement, ostracisation, lutte, humiliation. L’humanité trinque. La création artistique reflète forcément le vécu, le ressenti. Mais elle reste aussi l’espace des possibles, pour vibrer malgré tout. Le cœur qui bat et la rencontre de l’altérité y tiennent une place essentielle. Femmes et hommes cinéastes apportent des propositions en cette période de préoccupation existentielle mondiale. Sans miracles absolus. Et pourtant. La lumière de l’éclair amoureux a jeté ses rayons sur la Croisette.
Pour le Japonais Ryusuke Hamaguchi, l’amour obsède et sonne deux fois. Dans Asako (Sélection officielle, compétition), l’héroïne titre craque pour un homme qui va disparaître, puis elle croise deux ans plus tard son sosie, dont elle va tomber amoureuse, avant la réapparition du premier. L’amour comme répétition de la rencontre. L’obsession de l’identique, qui annihile le libre arbitre, mais explose aussi les diktats. Pour le réalisateur, il faut assumer son désir, et le vivre, raisonnable ou pas.
Chez Christophe Honoré, la nouveauté succède aussi à d’autres histoires. Dans Plaire, aimer et courir vite (Sélection officielle, compétition), l’étudiant Arthur déboule dans la vie de l’homme mûr et père Jacques. Mais ce dernier avance avec ses amours passées, marquées par la maladie, le sida, la mort qui rôde, dans son propre corps. Le danger de la séparation ultime plane.
À l’Est, c’est l’atteinte à la liberté individuelle qui muselle la jeunesse russe de Leto de Kirill Serebrennikov (Sélection officielle, compétition), mais ne tue pas tout. À l’orée des années 1980, une jeune femme aimante deux hommes, leaders des deux groupes russes pionniers de rock Zoopark et Kino. Le premier est déjà marié avec Natalie, le second fond pour la belle, elle-même sensible à ce dernier. L’attirance et le partage, avec la musique comme lien, en pleine époque de censure et de quête libertaire. Une autre aspiration à la respiration totale, par-delà les frontières et le rideau de fer, attise la rencontre entre Wiktor et Zula, le musicien et la chanteuse, le brun et la blonde, l’homme et la femme. C’est Cold War de Pawel Pawlikowski (Sélection officielle, compétition). Leur amour traverse les années, les kilomètres, les pays, les régimes, les séparations. Point commun entre les deux films, le noir et blanc qui tranche, nuance et révèle l’évidence du sentiment, de l’obscurité à la clarté.
L’entrave à l’amour débouche parfois sur un étouffement absolu, celui de l’interdit, du tabou extrême, dans des carcans sociétaux. C’est ce que connaissent les héroïnes adolescentes de Rafiki de Wanuri Kahiu (Sélection officielle, Un Certain Regard) et de Carmen & Lola d’Arantxa Echevarria (Quinzaine des Réalisateurs). Hasard de la programmation, ces deux premiers longs-métrages, filmés par une femme, racontent l’attirance soudaine, inattendue et perturbante, de deux jeunes filles, dans un quartier de Nairobi au Kenya pour le premier, dans la banlieue madrilène espagnole pour le second. Censure sociétale totale pour le premier. Péché ultime dans le machisme gitan catholique du second. Scandale à la clé, éloignement, séparation forcée. L’amour en bave. Sévère.
Un affrontement social qui domine également les rencontres d’Amin de Philippe Faucon (Quinzaine des Réalisateurs) et de Monsieur de Rohena Gera (Semaine de la Critique). Amin est un sans-papiers sénégalais, qui intervient comme ouvrier en équipe pour des travaux d’aménagement chez Gabrielle, à Paris. Une idylle naît, entre l’homme marié, séparé géographiquement de la famille qu’il aime et fait survivre à distance, et la femme divorcée, harcelée par son ex, et touchée par cet autre homme. L’empêchement circonstanciel, marital, existentiel, va avoir raison de la durée de leur liaison, mais leur rencontre a eu lieu. Et leur estime mutuelle est profonde. Ashwin, le riche héros éponyme du second film, va se rendre compte, lui, au fur et à mesure de sa promiscuité avec son employée de maison, dans son appart bourgeois de Bombay, qu’elle représente bien plus que leur simple lien patron/employée. Mais la puissance des castes et des couches sociales est d’un verrouillage féroce en Inde. Et l’avancée progressive de leur relation renferme leur intimité pourtant chaste sur elle-même. Mais le combat continue.
La rencontre amoureuse à l’épreuve du réel du sentiment. La réponse cannoise est claire : coûte que coûte, il faut y aller.