Les grands thèmes de Cannes 2018 : Des femmes disparaissent
Alors que Cannes 2018 fut marqué par la radieuse présidence de Cate Blanchett, le projet 50/50 pour 2020 et la présence dans toutes les sélections de réalisatrices, l’un des thèmes phares du festival était – bizarre, bizarre – la disparition féminine.
Échappée, fuite, absence. Que de femmes en partance dans toutes les sections ! De jeunes filles s’embarquant vers un lieu mystérieux (Under the Silver Lake de David Robert Mitchell), de mères disparaissant pour aller chercher du sens ailleurs, laissant derrière elles homme et enfants… Inconséquente et titubante, Marlene (Marion Cotillard) s’évapore abandonnant sa gamine de 8 ans dans Gueule d’ange de Vanessa Filho. Dans Nos batailles, remarquable long-métrage de Guillaume Senez, du jour au lendemain, Laura (Lucie Debay) prend la poudre d’escampette ; dans le très beau Wildlife de Paul Dano, l’éloignement physique de son mari entraîne Jeannette (Carey Mulligan) à dériver et oublier son fils adolescent, à s’oublier elle-même dans les bras d’un autre homme… Quant à Zula (Joanna Kulig), dans Cold War de Pawel Pawlikowski, elle n’en fait qu’à sa tête, entre adolescence et âge adulte, Est et Ouest, amour et trahison, elle ne fait que partir et revenir…
Mais il y a aussi ces disparitions qui, sous des allures de fugues, ne sont que contraintes et violences : Everybody Knows d’Ashgar Farhadi voit une fête de mariage tourner au désastre et une famille se déchirer, lorsque la jeune Irène (Carla Campra) s’éclipse du tableau ; dans Capharnaüm de Nadine Labaki, le jour où Rahil (Yordanos Shiferaw), qui a accueilli dans son taudis le jeune Zain (Zain Al Rafeea), ne revient pas, ce dernier se retrouve en charge d’un bébé d’un an, mais Rahil n’a pas choisi sa fuite, arrêtée sans papiers, elle est de ces femmes qu’on emprisonne et qu’on entrave.
« Fuir le bonheur avant qu’il ne se sauve… » Les mots de Gainsbourg susurrés par Jane Birkin hantèrent nos oreilles pendant ce Festival de Cannes 2018. Parce qu’il s’agissait de fuir le malheur, souvent, de s’échapper pour être libre enfin.
Dans ce festival, tandis que des femmes disparaissaient, une femme apparaissait. Lara dans Girl de Lukas Dhont (film sublime, Caméra d’or amplement méritée) est une fille de quinze ans dans sa tête et dans sa vie, elle veut devenir danseuse étoile. Mais Lara (Victor Polster, prix d’interprétation à Un Certain Regard) est née garçon : tout le film est mouvement, tourbillon, pour échapper à ce corps qui n’est pas le sien, pour devenir cette étoile qu’elle veut être. Un jour, Lara sera vraiment Lara…