Duos féminins made in France

Huit fois deux

En salle le 22 mars, Sage Femme de Martin Provost permet par son sujet de faire se rencontrer deux actrices de renom, deux tempéraments, Catherine Deneuve et Catherine Frot, en opposant deux caractères forts de fiction. L’occasion idéale de se replonger dans les duos féminins antérieurs et marquants du septième art français. Ou comment aborder et construire de la fiction avec deux protagonistes qui portent un récit et habitent le grand écran. Zoom arrière en huit films et huit face-à-face qui balaient les décennies du cinéma hexagonal.

Sage Femme de Martin Provost. Une femme retrouve un jour l’ex-compagne de son père mort. Retrouvailles électriques, d’où le passé ressurgit et bouleverse le présent. Un traitement du duo féminin que le réalisateur prolonge et creuse, après son opus précédent Violette, rencontre faite d’admiration et de solidarité, mâtinées de désir, entre Violette Leduc et Simone de Beauvoir. Occasion idéale pour replonger dans les duos féminins antérieurs et marquants dans le septième art français. Ou comment aborder et construire de la fiction avec deux protagonistes fortes, qui portent un récit et habitent le grand écran. Flash-back en huit instantanés.

duos-feminins-dossier-diaboliques-clouzot

LES DIABOLIQUES


En adaptant Celle qui n’était plus de Boileau-Narcejac, le maître de la noirceur Henri-Georges Clouzot tape fort et signe un thriller pilier du cinéma hexagonal. Une montée en puissance de la tension, via l’alliance de deux femmes, qui se distingue du roman où mari et maîtresse tuaient la femme avant le suicide de l’homme. Ici, épouse et maîtresse unissent leur colère pour assassiner le mari. Simone Signoret est blonde et Véra Clouzot est brune, dans un noir et blanc tranchant. La célibataire dominante au caractère bien trempé et la femme soumise forment un duo implacable dans l’ombre d’un tyran. Mais la garce peroxydée s’avère manipulatrice, associée au mari pour faire tomber la brune fragile, qui meurt foudroyée de terreur quand l’époux ressuscite. Clouzot bâtit son film sur la complémentarité de Signoret, actrice vedette déjà chevronnée (Dédée d’Anvers, Manèges, Casque d’or, Thérèse Raquin), au jeu nerveux, et de son épouse Véra, nouvellement interprète, qu’il sadise volontiers sur le tournage pour en obtenir ce qu’il veut.


 

duos-feminins-dossier-viva-maria-malle

VIVA MARIA !


Gros succès public en 1965, avec près de 3,5 millions de spectateurs hexagonaux, pour les aventures des deux chanteuses françaises de music-hall au même prénom, en tournée en Amérique Centrale. Réunies par leur amour pour un même homme, la blonde et la brune jouent des frous-frous sur les planches, pour énergiser les hommes, et les accompagner à la révolution. Idée malicieuse de Louis Malle de réunir les deux stars féminines nationales de l’époque, Brigitte Bardot et Jeanne Moreau, à la renommée mondiale, et qu’il avait filmées séparément. Deux symboles, deux femmes libres. La réalité dépassa la fiction. L’annonce du projet et le tournage alimentèrent tous les fantasmes d’affrontement fatal entre stars. Finalement, elles s’amusèrent et affrontèrent plutôt les paparazzi avides de scoops. Restent les courses, facéties et les numéros chantés, où la bombe physique Brigitte et l’intello Jeanne allient leur cinégénie. Le coup de pub déplaça les foules et le brio de conteur de Malle et Jean-Claude Carrière fit le reste.


 

duos-feminins-dossier-petroleuses-christian-jaque

LES PÉTROLEUSES


Pas farouche pour partager l’affiche avec une consœur, Bardot fait aussi équipe coup sur coup avec Annie Girardot dans Les Novices de Guy Casaril, et surtout ici avec Claudia Cardinale dans un western comique au féminin. Aux manettes de la réalisation, un expert en fantaisies épiques, Christian-Jaque, qui filma Gérard Philipe dans Fanfan la tulipe, Alain Delon dans La Tulipe noire, et Brigitte déjà dans Babette s’en va-t-en-guerre. Les deux stars sexy aux doubles initiales jouent donc l’affrontement de deux « Calamity Jane », soudain rivales autour d’un ranch abritant du pétrole. L’énergie et la puissance sexuelle de BB et CC sont exploitées au soleil et à la poussière d’Espagne. Point d’orgue : une lutte physique entre l’insolente française et la volcanique italienne. Une semaine de tournage pour les coups et cascades de Louise et Marie, qui servirent d’inspiration à un autre face-à-face pétulant entre deux « bombes » hispanophones, Penélope Cruz et Salma Hayek dans Bandidas, trente-cinq ans plus tard.


 

duos-feminins-dossier-petroleuses-femmes-femmes-vecchiali

FEMMES FEMMES


Paul Vecchiali est resté fan du cinéma de son enfance, les années 1930-1940, et de ses actrices, dont il a filmé les icônes Danielle Darrieux et Micheline Presle dans En haut des marches. Avec ce long-métrage datant de 1974, il livre une version personnelle de l’affrontement de deux actrices vieillissantes et ratées, dans un noir et blanc émouvant et implacable à la fois. Hélène Surgère et Sonia Saviange, ses muses, et accessoirement sœur pour la seconde (!), incarnent avec leur propre prénom des clones de Bette Davis et Joan Crawford dans Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? de Robert Aldrich. Ou comment le quotidien sert de théâtre à un surjeu de la vie pour mieux se la raconter, quand on a passé des années à espérer la gloire et les flashs, et qu’on boit pour oublier. La cohabitation des deux femmes nourrit l’espace de leur amertume commune et de leur rivalité d’ego narcissique. Séduit, Pasolini engagera les deux actrices pour son œuvre culte et extrême Salo ou 120 journées de Sodome.


 

duos-feminins-dossier-petroleuses-coup-foudre-kurys

COUP DE FOUDRE


Deux vedettes de la même génération pour incarner deux amies. C’est le pari de Diane Kurys avec Miou-Miou et Isabelle Huppert, sur les traces de sa biographie familiale, et de comment et pourquoi sa mère quitta son père. Une rencontre intense et exclusive : deux femmes veulent quitter leur homme pour vivre ensemble leur amitié, libérées des diktats du début des années cinquante. Miou-Miou fut au cœur des Valseuses de Blier neuf ans plus tôt, où elle initiait Huppert au plaisir avec Dewaere et Depardieu. Entre-temps, les deux sont devenues célèbres, Miou-Miou, plus populaire (Pas de problème !, La Dérobade, La Femme flic), Huppert, plus associée à des auteurs internationaux (Chabrol, Godard, Pialat, Cimino, Bolognini, Losey). L’alliance du chaud et du froid, de deux têtes d’affiche de la génération années 70, dans un scénario mêlant émancipation, nostalgie et féminité, fait mouche. Plus d’1,6 million d’entrées France, quatre nominations aux César et une à l’Oscar du meilleur film étranger.


 

duos-feminins-dossier-sœurs-fâchées-leclère

LES SŒURS FÂCHÉES


La boulimique de travail Huppert a souvent joué en duo avec une collègue (Christine Pascal, Miou-Miou, Béatrice Dalle, Sandrine Bonnaire, Sandrine Kiberlain, sa fille Lolita Chammah), voire en trio (Les Sœurs Brontë) ou plus (8 femmes). Dans cette comédie signée Alexandra Leclère, l’intrigue repose sur l’antagonisme de deux frangines, forcées de cohabiter quand la provinciale débarque chez la parisienne. La candide face à l’aigrie, l’expansive face à la cérébrale. Casting au poil, avec l’association de Catherine Frot, fédératrice du grand public français depuis Un air de famille, et d’Isabelle Huppert, à la filmographie cinéphile quatre étoiles. Chacune joue son registre drolatique jusqu’à l’extrême, l’une la naïveté débordante, l’autre la frustration cassante. Les situations et dialogues fonctionnent, et les spectateurs suivent en 2004, avec en climax une Huppert se déchaînant nerveusement sur un rôti et sur sa meilleure amie campée par Brigitte Catillon.


 

duos-feminins-dossier-backstage-bercot

BACKSTAGE


Passionnée par les mouvements du cœur, du corps et de l’âme de la jeunesse, Emmanuelle Bercot s’intéresse ici à la relation trouble et opaque entre une fan et une chanteuse. Comment la fascination irrigue une relation faite d’admiration et de domination. Un lent cheminement lie une adolescente et une femme, l’une aux prémices de son épanouissement, l’autre au faîte de son rayonnement. Pour incarner cette luminosité aux effets aveuglants de l’idolâtrie, la cinéaste a choisi deux blondeurs. Celle, marmoréenne, d’Isild Le Besco, alors âgée de vingt-deux ans, et celle, sculpturale, d’Emmanuelle Seigner et de ses trente-huit piges. Innocence et perversité se mêlent dans une danse de séduction fatale, où l’aveuglement passionné « adjanien » d’Isild dans la peau de Lucie, se cogne au glacis d’Emmanuelle alias Lauren Waks, mi-Marilyn Monroe mi-Mylène Farmer. Une alchimie fascinante de présence éthérée et de possession sublimée.


 

duos-feminins-dossier-ne-te-retourne-pas-de-van

NE TE RETOURNE PAS


Marina de Van détourne et renouvelle l’association de deux actrices de renom en les fondant l’une dans l’autre, symboliquement et concrètement à l’image. Sophie Marceau et Monica Bellucci. Monica et Sophie. Les deux visages vont jusqu’à se mélanger pour en former un troisième, hybride, étrange, improbable, irréel, grâce à un effet de « morphing fusion » en post-production. À l’image de l’irréalité que vit le personnage de Jeanne/Sophie, soudain victime de troubles de la perception, et d’un profond bouleversement intime. La cinéaste joue la carte du glamour, en « castant » deux quarantenaires populaires, l’une fiancée de charme de la France, et l’autre icône de la sensualité à l’italienne, l’une dans la fraîcheur de l’impulsivité, l’autre dans les fils de la lascivité. L’accueil et le résultat furent mitigés, mais le dédoublement reste en mémoire. Expérience schizoïde. Jusqu’au-boutisme esthétique et stylistique. L’aventure reste unique en son genre et foula même le tapis rouge cannois.