« Ce papier est ta peau, cette encre est mon sang, j’appuie fort pour qu’il entre », cette déclaration épistolaire hante par deux fois l’œuvre de François Truffaut : dans Les Deux Anglaises et le Continent et dans Jules et Jim. La peau, première vue et premier contact, visage et corps que la caméra capture et encadre. De sa blancheur, de sa couleur, de sa souplesse ou de ses stigmates découlent des histoires. Le Forum des Images en fait la thématique d’une rétrospective sensuelle et tactile, du 15 juin au 29 juillet. Histoires de vie, histoires de cinéma pour dire tout ce qui palpite. Dessous.
Miroir, mon beau miroir
Beauté, laideur. La peau, si on y est bien ou si on s’y sent mal, fait office de révélateur subjectif. De La Belle et la Bête à Blanche-Neige, les contes ont usé et abusé de l’apparence extérieure et le cinéma leur a emboîté le pas. Mais du temps qui passe, il a aussi fait une donnée objective. La peau boutonneuse est le drapeau noir flottant sur l’adolescence des Beaux gosses de Riad Satouf : d’ailleurs, lorsqu’ils font face à leur reflet dans la glace, ils ne se regardent pas, mais posent leur bouche sur la surface réfléchissante et s’entraînent au baiser comme pour mieux patienter jusqu’à la transformation, la mue. « Quand je n’aurai plus de peau, je n’aurai plus de taches ! » C’est ainsi que réplique, dans Vénus Beauté (Institut) de Tonie Marshall, la dame (interprétée par Edith Scob) qui porte des bandelettes comme une momie, réclame onguents et peelings sur ses mains « tachetées façon girafe », lorsque Angèle (Nathalie Baye) lui dit qu’une application supplémentaire ferait disparaître sa peau. De crèmes « Sérénité » en huiles « essentielles », ce qui s’applique et se pose, se caresse et se masse sur les épidermes des clientes obsédées par leur apparence (« On ne vend que ça, ici ! »), c’est un barrage contre le temps qui passe. Le film porte aussi un regard sur le visible et l’invisible : les cicatrices de l’amour qu’on porte sur son visage, ou celles qui sont plus intérieures, mais tout aussi douloureuses.
Mon âme par toi flétrie
Le Dos rouge d’Antoine Barraud est l’histoire d’un réalisateur (incarné par Bertrand Bonello), en quête de monstruosité en peinture pour alimenter le scénario du film qu’il prépare. Comme le titre l’indique, l’homme arbore sur sa peau, dans le secret de sa chambre et face à son miroir, une tache rouge, de plus en plus importante, de plus en plus monstrueuse. Comme s’il était contaminé par sa quête et son obsession. Comme si l’intérieur finissait toujours par rejoindre l’extérieur. Ainsi Fedora de Billy Wilder, fable cruelle, elle aussi située dans le milieu du cinéma, qui raconte comment une actrice âgée arbore (grâce à la chirurgie esthétique d’un médecin aux allures méphistophéliques) une jeunesse déboussolante et aussi un mental déboussolé. La vérité, diabolique, terrifiante, d’une fille (Marthe Keller) prenant la place de sa mère défigurée et devenant du même coup mentalement démolie est une sorte de suite de poupées gigognes du mensonge et de la monstruosité. Piège des apparences, la panoplie de star que porte Fedora (chapeau large et lunettes noires) est agrémentée de gants blancs, censés cacher ses vieilles mains tachées et ridées. Ils masquent en fait la jeunesse vraie de sa peau de trentenaire et parachèvent l’« accessoirisation » du mensonge.
Mémoire visible
Le tatouage est le bijou de la peau, trace de messages indélébiles. Les films de cette rétrospective font la part belle à ces calligraphies, signes d’appartenance ou revendication. Dans Memento de Christopher Nolan, brillantissime film qui remonte la chronologie à rebours du récit et révèle peu à peu les secrets de cet homme-livre, ayant perdu la mémoire immédiate, et dont le corps est recouvert de mémos et de préceptes à suivre pour faire son chemin à travers la brume du réel. Mais le film le plus troublant de cette thématique reste le documentaire de Christian Poveda, La vida loca. Parce que c’est le réel à l’œuvre qui s’insinue ici, partout. La vie et la mort de jeunes gens de la banlieue de San Salvador, membres d’un gang, la 18, marqués au fer rouge du destin. Hommes et femmes portent, tatoués sur le corps et le visage, les symboles de leur « mara », chiffres à l’encre noire, enluminures d’appartenance, fierté et arrogance. Ils portent aussi dans leur chair les cicatrices des balles constamment échangées avec l’autre gang, ou la police. Ces traces sanglantes sont la preuve de leur survie : « Tu viens de renaître », dit un jeune homme à sa sœur sortie du coma. Mais certains de ces rescapés finissent par ne pas se relever, la violence et la vengeance forment un cercle vicieux, ils ont dix-huit, vingt ou vingt-cinq ans et ils y laissent leur peau.
Rétrospective au Forum des images
du 15 juin au 29 juillet 2016.