La machine à faire des films

Vous avez sûrement déjà vu la jaquette d’un de leurs DVD. Paranormal Entity, The Terminators… Avant le succès planétaire de Sharknado, The Asylum c’était surtout ça : des « mockbusters », imitations hard-discount de grands films populaires. Avec près de vingt ans d’existence et trois nouveaux films par mois, The Asylum fait figure d’exception dans le paysage de l’industrie cinématographique à Los Angeles. Quel est le secret de cette entreprise qui réussit si bien à faire de mauvais films ?


 

La cinquantaine, de petites lunettes au bout du nez et une casquette « The Asylum » posée sur la tête, David Michael Latt se souvient : « Jamais, dans ma vie, je n’aurais pensé faire ce que je fais aujourd’hui ». Lui se voyait bosser pour les Studios, un peu producteur, un peu réalisateur. Suivre la « Spielberg Route ». « Je me souviens avoir regardé It’s Alive de Larry Cohen au cinéma, et en sortant de la salle, je me suis dit que si je devenais un jour ce genre de réalisateur, je me suiciderais. Je haïssais tout ce que représentait ce cinéma de série B., de nanars », explique-t-il, le sourire un coin. Comment imaginer que quelques années plus tard, il sortirait avec la fille de Larry Cohen et serait à la tête de la plus grosse usine à nanars qu’Hollywood ait connue depuis des décennies ?

Car The Asylum est comme un monstre mutant, échappant à tout projet personnel pour constamment s’adapter aux velléités du marché. Si la société fabrique aujourd’hui des films de requin déjantés qui lui valent une renommée internationale, c’est presque le fruit du hasard. Dans les méandres des marchés de films, les responsables « vente » et « développement » discutent, négocient. Quels films rejoindront les étals « deux pour le prix d’un » des supermarchés à travers le monde ? Quels films passeront en deuxième partie de soirée sur les chaînes du câble ?

Sinister Squad réalisé par Jeremy M. Inman.

Parfois, le succès est au rendez-vous, d’autres fois moins. Cependant, David Michael Latt continue de rappeler à qui veut bien l’entendre que la société n’a jamais perdu d’argent sur un film. Pourtant, sa voix se fait plus timide qu’auparavant, et il ajoute : « Nous mettons de plus en plus de temps à récupérer notre investissement ». Car la grande époque du DVD touche à sa fin, comme celle de la télévision. Mais The Asylum n’est pas à une révolution près. Autrefois spécialisée dans la gestion de catalogue pour la chaîne de location de DVD Blockbuster Video, elle aurait dû être balayée par le raz-de-marée Netflix qui a rasé tout le marché. Au contraire, en changeant radicalement son business model, The Asylum en est sortie plus forte que jamais.

Jusqu’à raviver un mode de fonctionnement hérité tout droit de l’Âge d’or hollywoodien. Chez The Asylum, tout est fait maison, « in-house » comme on dit. C’est-à-dire avec une absence presque absolue de sous-traitance. C’est une véritable chaîne de production diaboliquement efficace qui se déroule le long du couloir circulaire du 72 East Palm Avenue, Burbank. Une trentaine d’employés s’y affairent, travaillant sur trois, quatre films à la fois – sans compter les free-lances, à droite et à gauche sur des tournages. Peu importe les difficultés à venir, David Michael Latt est heureux. Lui qui avait commencé son entreprise dans l’appartement de son ami et associé David Rimawi affiche fièrement son classement, plusieurs années de suite, dans le top 500 des sociétés à la croissance la plus importante établi par le site Inc.com. « J’étais tellement naïf à l’époque, je ne me rendais pas compte que ce que je croyais détester, c’était exactement ce que je voulais faire », s’amuse-t-il. Et surtout, il prend un plaisir fou à fabriquer ces films aux budgets ridiculement bas, pour lesquels il faut toujours bricoler. Contrôlant tous les aspects de la production, comme un Jack Warner low cost, Latt jubile : « Je suis tellement heureux de ne pas être dépendant d’un studio, mais au contraire d’être en charge de mon propre petit royaume ». Quelque part, à la périphérie d’Hollywood, visite guidée du domaine où on fait des films à la chaîne (cf. Inside The Asylum).