Des bobines et des bouteilles : Jonathan Nossiter, le réalisateur de Mondovino et de Résistance naturelle, spécialiste du monde du vin et grand amoureux du 7ème Art, trinque au cinéma radical et associe, pour BANDE A PART, ses films de cœur à des vins de choix.
1 – Un film pétillant
LE VIN : une malvoisie pétillante de Camillo Donati
« Camillo Donati se définit comme un paysan qui travaille comme ses ancêtres, avec bon sens, refusant d’empoisonner avec la chimie ses terres près de Parme. Abordant la biodynamie dans les années 1990, il a toujours refusé de spéculer sur les prix de ses bouteilles (actuellement autour de 5-6 euros) malgré sa croissante reconnaissance internationale, convaincu que la culture du vin est un acte démocratique et fraternel. Son père avait été l’un des premiers en Émilie à prendre les armes pour combattre les nazis et les fascistes italiens au début de la guerre. »
LE FILM : Le Marquis s’amuse de Mario Monicelli
« Mario Monicelli, était-il l’homme le plus libre du grand cinéma italien ? Encore plus radical (ou du moins plus subversif) que Pasolini, parce que son refus du pouvoir était plus subtil et toujours ironique? Fondateur de la commedia all’italiana, ce réalisateur connu en France pour Le Pigeon, était pour beaucoup d’Italiens l’un des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma. Avec son dédain pour un langage formel et son mépris pour les gourous de cinéma, avec son indépendance d’esprit et de comportement, il a toujours échappé aux étiquettes. Une comédie acide dans son œuvre l’a banni du Panthéon solennel. Et soyons sûr que ça lui était égal. Le Marquis s’amuse (Il Marchese del Grillo) est un de ses nombreux chefs-d’œuvre pétillants et iconoclastes. Ici, Alberto Sordi, héros dans la vie ‒ et presque toujours à l’écran ‒ du peuple romain, joue un aristocrate. Mais un marquis anarchiste du début du 19ème, digne des Marx Brothers, qui fout tout en l’air : la classe dirigeante italienne, le pape, l’armée de Napoléon et le peuple soumis !
A 95 ans, Mario Monicelli, homme profondément libre et anti-conformiste, a fait de son dernier acte la preuve que l’on n’est pas obligé de se soumettre. Ayant constaté qu’il avait vécu assez longtemps et voulant exprimer son horreur de la société actuelle, il s’est jeté, en décembre 2010, du balcon du 5ème étage de l’hôpital romain où il venait d’apprendre que son cancer était en phase terminale. »
2 – Un film rouge
LE VIN : Un « Rosso » de Le Coste
« Gian Marco Antonuzzi et sa femme lorraine Clémentine Bouveron, ont un petit domaine radicalement naturel, Le Coste, dans le nord de Lazio, à Gradoli. Issu d’un sol volcanique du lac de Bolsène (lieu d’une irruption magique il y a un million d’années), leur vin rouge (jamais pareil d’année en année… et heureusement) a une vitalité et une acidité qui troublent, qui excitent, qui perturbent, qui ne ressemblent à aucun « rouge conventionnel ». Pas pour les ideo-psycho-rigides ! »
LE FILM : Le Syndrome asthénique de Kyra Muratova
« Pour moi, le film le plus surprenant, ivre, original et déroutant des cinquante dernières années. Fait en 1989, lors de la chute du système soviétique, par la grandiose cinéaste Kyra Muratova, je l’ai revu au moins sept fois en quinze ans et, à chaque fois, le film se présente comme une œuvre vierge. À la fois méditation sur la folie de la vie soviétique, privée et publique, et incarnation de cette même folie. Les films de Pasolini, même son chef-d’oeuvre final Salò, semble presque « mainstream » à coté. Dans ce fleuve rouge du cinéma (écoulement du sang idéologique) , on suit des personnages avec passion jusqu’à ce qu’on les perde (parfois définitivement). Le surgissement permanent de nouvelles réalités humaines et cinématographiques (le basculement du noir et blanc à la couleur est sans doute pour moi l’expression la plus réussie dans l’histoire du cinéma de ce geste maintes fois essayé), l’un plus improbables, gogolien ou dostoïevskien selon le vent visuel, fait que l’on n’est jamais lâché par l’art centrifuge du montage. Un acte de liberté poétique transcendant, mais toujours concret, politique et ethnographique. Je défie quiconque de ne pas céder à ce moment de folie collective. Qu’est-ce que tout cela nous ressemble 25 ans après, dans l’Occident ! »
3 – Un film blanc
LE VIN : un riesling sans soufre de Jean-Pierre Frick
« Jean-Pierre Frick, Alsacien de 58 ans est l’un des premiers vignerons en France à travailler en biodynamie – une agriculture à la fois basée sur des gestes médiévaux, mais profondément progressiste et visionnaire dans un engagement éthique et écologique sans concession. S’il a souffert, exposé par sa radicalité et ses expériences de vin sans soufre à une époque où personne n’en faisait, il est devenu, malgré lui, une star mondiale de la révolution du vin naturel. Frick est un vrai résistant, et surtout un authentique citoyen. Mettant en danger son domaine, il a rejoint 53 autres faucheurs volontaires pour détruire des vignes OGM, plantées en champs ouverts en 2010. Condamné en première instance, Frick et ses compagnons ont fait appel, opposant une argumentation morale et civique contre une implantation sans justifications scientifiques de 70 pieds de vignes OGM par l’INRA (Institut national de recherche agronomique). Miracle : le 14 mai 2014 la cour d’appel de Colmar a donné raison à ces partisans de la désobéissance civile, jugeant que le gouvernement a agi de manière illégale, sans prendre soin des dangers pour la santé publique, et agissant sous l’influence des lobbies de Monsanto et autres multinationales. Relaxe des faucheurs. Victoire pour la démocratie des citoyens engagés et de la magistrature, face à l’absence d’action démocratique. Mais l’INRA, le CNRS et dix autres organes gouvernementaux ont annoncé leur pourvoi en cassation pour renverser la décision des juges. Frick tient bon, aussi grâce à la limpidité, la salinité et la franchise joyeuse de ses vins, la plus belle expression de ce que la nature (de la terre et de l’homme) peut nous apporter si on la respecte. »
LE FILM : Les Enfants rouges de Santiago Amigorena
« Tourné en noir et blanc, Les Enfants rouges est sorti sur une seule copie. Acte volontaire de l’artisan. En France, l’industrie du cinéma est absolument bénévole par rapport à tout autre pays ; un miracle, jusqu’à présent, de soutien de la diversité. Mais la recherche d’un chemin de liberté individuelle, autant dans la fabrication que dans le sujet, s’impose partout, si les cinéastes ne veulent pas complètement abandonner leur rôle contestataire. Le geste le plus surprenant et le plus libératoire de tous ceux qui repensent le cinéma vient peut-être de Santiago Amigorena. Réalisateur de deux films de fiction faits avec l’industrie, Amigorena est également reconnu comme scénariste et surtout comme romancier. Dans Les Enfants rouges, on trouve une qualité intrinsèque au geste artisanal, mais qui, jusqu’à présent, a été presque impossible à achever dans le cinéma: la joie gracieuse de la solitude, autant pour l’auteur que pour le spectateur.
Dans la folie du monde de « la crise institutionnalisée », Amigorena propose une rupture totale, un film « produit sans aides financières publiques et sans argent privé. La préparation, le tournage et la post-production se sont faits sans circulation d’argent. » Pour faire vivre son histoire d’amour de la solitude (et forcément de la solitude de l’amour) chez des jeunes Parisiens, il puisait dans ses racines littéraires. Le film « est né du désir de savoir si, en travaillant avec d’autres, il m’était possible de sentir ce que je ressens, seul, lorsque j’écris. » A travers le personnage d’Eric Caravaca, alter/inter-ego de l’auteur, une voix off tellement « incarnée » qu’elle rendrait jaloux bien des stars d’Hollywood, Amigorena invente une émouvante intimité, une solitude littéraire à l’intérieur d’un geste purement cinématographique et communautaire. Est-ce un hasard qu’à la place de la circulation directe de l’argent, l’auteur invite ses quelques jeunes collaborateurs à la fin de chaque jour de tournage Aux deux Amis, bistrot phare du 11ème arrondissement pour les jeunes amants du vin – et des échanges humains – naturels ? Quand il a présenté son film au distributeur Rezo, il l’a fait sous une seule condition : pour respecter le geste de liberté artisanal, il ne pouvait sortir qu’une seule copie, une seule salle. Le jour de sa sortie, avec du vin naturel qui coulait à l’étage du Cinéma Latina à Paris, offert par des amis vignerons, il a fait le meilleur nombre d’entrées de toute la France. Petit geste symbolique et éphémère… mais un geste durable dans l’imaginaire, lieu du plus beau combat. »
4 – Un film rosé
LE VIN : Les rosés de Domaine de l’Anglore, Clos des Cimes, Pacina, et les rouges et les blancs (ça fait du rosé si on les boit dans la même soirée, non ?) de Mathias Marquet à Cadillac.
« Mathias Marquet est un jeune vigneron qui incarne tout l’espoir de la nouvelle génération et prend en main son propre destin, ainsi que le destin des autres, en cultivant à Cadillac quelques hectares de blanc et de rouge jouissifs, entre autres un muscadelle et sauvignon blanc « Soelhas » plein de belle rugosité.
C’est un agriculteur qui sait travailler la terre et aussi manier la plume (plumier-clavier). Suite à un appel du labo officiel de l’appellation aux vignerons, Marquet rebondit : « Je ne choisis pas l’isolement, je choisis l’avant-garde. Bergerac, cette petite appellation de vins parfois si grands, au cœur du Sud-Ouest, dans nos paysages du Périgord pourtant visités par plus d’un million de personnes chaque année – c’est dire si notre cadre de vie est magnifique – mérite mieux que des vins Coca-Cola. Ne tombons pas dans ce piège, et faisons nos vins du Bergerac, des vins de soif si vous voulez, avec des petites macérations, des vins en dentelle, des vins qui nous rappellent cette odeur si singulière des soirs d’été ici, ces petits fruits rouges que nous savons si bien mettre en valeur. Les fruits frais n’arrivent ni avec la thermo-vinif, ni avec les copeaux. Ils viennent avec de jolis raisins gorgés de soleil, tenus à des vignes en pleine santé sur des sols vivants. » »
LE FILM : Tout Adam Sandler
« Rien que pour vos cheveux, Funny People, Copains pour toujours… Malgré ses airs de personnage stupide, ce profond anarchiste est nettement plus critique de la société américaine que ne l’est la vaste majorité des films dits indépendants. »
Par Jonathan Nossiter
Avec l’aide de Jo Fishley