Le genre au cinéma, partout et nulle part
La notion de « film de genre » est au cœur même de la démarche d’un festival comme le FEFFS. Le Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg (oublions l’acronyme) fonde son existence sur un genre cinématographique précis. Mais il faut toutefois admettre que le cinéma respire, évolue, qu’il est une bête en mouvement. Et programmer, c’est choisir, et en cela poser des limites. Depuis quelques années, le festival strasbourgeois propose ainsi une section Crossovers, un espace dévolu aux œuvres qui sentent le genre, qui ressemblent au genre, qui pourraient être du genre, mais qui ne répondent finalement à aucune définition. Cette section, cette zone aux limites floues, est un espace de liberté dans la programmation et une manière d’approcher le cinéma de niche sans la contrainte absolue du label, de l’étiquette.
Des origines à la mise au ban
Sans remonter jusqu’à la gare de La Ciotat, la notion de « film de genre » est presque aussi ancienne que le cinéma. Le genre, c’est une question de respect des codes, une histoire de nomenclature, de ponctuation dans le récit. C’est une affaire d’obligations, de confort et de repères. Il faut un six-coups à la ceinture des cow-boys et des numéros dansés à intervalles réguliers dans une comédie musicale. Parce que le spectateur veut entrer en terrain connu et il veut savoir ce qu’il va trouver sur l’écran.
Le film noir est un exemple éloquent. Il cumule des impératifs formels (en grande partie hérités de l’expressionnisme allemand), comme un noir et blanc très contrasté et la surabondance d’ombres portées, mais également des fondements narratifs. Qu’il soit français ou américain, signé Tourneur, Dassin ou Hawks, on ne peut imaginer le genre sans une femme fatale, au passage tentatrice vénale, et un dur en quête de rédemption planqué sous son chapeau mou. Dès les années 1930, les studios américains se répartissent donc la tâche. La Warner s’attache au polar avec Cagney, Robinson et consorts, Universal au film d’horreur. La MGM confie dans le même temps la barre à des producteurs comme Arthur Freed qui viendront alimenter les salles en musicals. Le genre n’a pas glané de lettres de noblesse, mais le 7ème art, qui assume alors sa dimension populaire, s’en moque. Le cinéma connaît alors ses limites, ses normes, ses cases.
À partir des années 1960, parce que le néoréalisme italien et la Nouvelle Vague française sont venus brouiller les pistes, le film de genre quitte le giron des grands producteurs. Il devient l’apanage des petits, des outsiders, des Roger Corman et autres studios Hammer.
On fait alors des mélanges, des cocktails, on invente et on redéfinit. Mario Bava mélange polar et horreur pour obtenir le giallo. Genre ou sous-genre, le spectateur vient y glaner des figures imposées, des passages obligatoires. Il attendra ainsi volontiers une heure trente le passage d’une lame aiguisée sur une gorge sensuelle et offerte.
Grandeur et effacement
On ne saurait alors associer grand cinéma et film de genre. À sa sortie, personne ne voit dans La Horde sauvage une œuvre majeure et crépusculaire. Parce que, après tout, il ne s’agit que d’un western. L’appréhension du public, comme celle d’une sorte d’intelligentsia cinématographique, a aujourd’hui changé. Le meilleur exemple pourra se trouver dans les sélections de grands festivals. En son temps, il aurait été impensable de voir Les Oiseaux d’Hitchcock en compétition à Cannes. Quel délégué général voudrait aujourd’hui passer à côté d’un tel film ? Le genre est donc admis, plébiscité, pour peu qu’il se cache et s’oublie derrière une parabole sociétale.
Dogs de Bogdan Mirica a été présenté en 2016 à Cannes dans la section Un Certain Regard. Il y est question d’un personnage venant rejoindre une terre inconnue. On y évoque un territoire, une frontière, des bandits mystérieux en marge de ce territoire. Le garant de l’autorité (qui a dit shérif ?) est incapable d’agir pendant toute la longueur du métrage. La construction narrative prône un long crescendo avec des rares éclats de violence. Jusqu’à l’affrontement final.
Exposé ainsi, Dogs a tout d’un western. Il en reprend, sans faillir, les codes, la dramaturgie et le rythme. À la sortie d’une salle de cinéma, les spectateurs ne se risqueront toutefois pas à la comparaison. Le cadre du genre a été gommé, insidieusement assimilé. Il en va de même d’un grand nombre de films aujourd’hui auréolés d’un prestige certain. Le film de genre n’est pas indigne. Il n’a pas disparu, mais il s’est immiscé dans la majorité des récits. Ses arcanes, ses impératifs, sont partout reproduits.
Le genre se disparaît pas, il s’efface poliment. Nulle part et partout à la fois, il fait du Crossovers, de cette jonction des histoires et des sensibilités, une discipline reine.
BANDE A PART, partenaire de la section Crossovers du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg.