À lui seul, l’éveil des sens et des sentiments amoureux pourrait servir de ligne éditoriale à un festival car il est au cinéma la marotte d’auteurs de tout âge et de tout niveau. Dans ce domaine, l’un des films les plus emblématiques de cette session cannoise est sans conteste Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, entièrement dévolu au tourbillon d’un amour naissant en 1770 entre Marianne et Héloïse (admirables Noémie Merlant et Adèle Haenel). Tandis que la première peint la seconde, tout est jeux de regards et de miroirs nimbés d’une sensualité enfiévrée – d’autant que les corps sont longuement tenus à distance – sans que la cinéaste s’affranchisse pour autant des réalités de l’époque et de la condition des femmes. Plus que cela, Sciamma en délivre une vision poétique magnifique : entretenue dans un véritable carcan, la vibration des âmes est le fruit d’une observation silencieuse, qui touche à l’Art, déclenche l’amour et ouvre sur la liberté.
Il y a beaucoup de similitudes dans l’évocation (que l’on suppose quasi autobiographique) de l’éveil sensuel du petit garçon de Dolor y Gloria de Pedro Almodóvar. Lui aussi est pris soudainement de fièvre tandis que le beau gosse analphabète à qui il enseigne le dessine en train de lire sur sa chaise. De fait, le petit est au bord de l’évanouissement et s’allonge dès lors sur son lit, admirant de loin dans un sommeil à demi-conscient, le physique dénudé du garçon désœuvré qui, en son absence, fait une toilette rudimentaire. Là encore, en quelques images silencieuses, un monde nouveau de volupté se dévoile.
D’autres visions viennent compléter le tableau cannois de désirs balbutiants : celles, assez naïves et contrariées, de Matthias & Maxime, deux amis d’enfance qu’un baiser factice de cinéma vient profondément déstabiliser, au contraire de celles, beaucoup plus concrètes, dans Mektoub My Love : Intermezzo d’Abdellatif Kechiche, de Marie (Marie Bernard), Parisienne de 18 ans, embringuée par « la famille » pour des danses aphrodisiaques, libertines et excitantes, où sa candeur s’avère soudainement lascive.
Mais plus encore, c’est la jeune actrice en devenir Mina Farid incarnant Naïma, 16 ans, la narratrice du film Une fille facile de Rebecca Zlotowski présenté à la Quinzaine des Réalisateurs, qui laisse le souvenir désarmant d’une libido toute neuve éconduite. L’image de ses yeux éperdus et embués se fracassant sur la leçon, pourtant sensible, du mâle dominant (Benoît Magimel) qui la congédie, prouve une fois encore combien notre univers est foncièrement cruel pour les oisillons au cœur tendre et fragile.