Le glamour, invention américaine, fait battre le cœur de grands films hollywoodiens indémodables. À savourer du 3 au 31 mai à Paris au Forum des Images en une rétrospective pleine de magie et d’envoûtements.
Glamour. Si le terme s’attachait, étymologiquement, au pouvoir de fascination en toutes choses, il est vite devenu, dans les années 1930 à Hollywood, synonyme de beauté étourdissante, de charme sensuel, de sortilège indicible. On pourrait croire que le glamour est une qualité rare et naturelle. Si la première caractéristique s’entend, la seconde se discute. Car l’usine à rêves qu’est Hollywood a toujours eu le génie de fabriquer, modeler, créer ses stars, en leur insufflant « la touche en plus ».
Dans Une étoile est née de George Cukor, la jeune Esther Blodgett, chanteuse de talent repérée dans un orchestre (merveilleuse Judy Garland), est propulsée dans un studio, blackboulée du service maquillage (où trois experts dénigrent son physique et envisagent de lui faire « le sourcil Dietrich » et « la bouche Crawford ») au département publicité, et découvre, au détour de sa première fiche de paie, qu’elle s’appelle désormais Vicki Lester. D’autres films, tels que Les Ensorcelés de Vincente Minnelli, Le Démon des femmes de Robert Aldrich ou Sunset Boulevard de Billy Wilder (tous présentés dans la rétrospective) donnent à voir ce qu’il faut de renoncement pour atteindre au glamour. Indissociable d’une machination d’Hollywood pour hypnotiser les foules, le glamour est ce je-ne-sais-quoi qui rend inoubliables jusqu’à l’obsession des femmes et actrices uniques en leur genre. Quelques pistes à travers les portraits de cinq belles irrésistibles qui ont marqué les esprits, les époques et étapes du glamour, des années 1920 aux années 1950, de son invention à sa répétition.
Marlene Dietrich : Ambiguë et dangereuse
« Ich bin von Kopf bis Fuß auf Liebe eingestellt / Je suis, de la tête aux pieds, faite pour l’amour », ce n’est pas une chanson, c’est une profession de foi du glamour ! L’Ange bleu de Josef von Sternberg lance définitivement et mondialement, en 1929, la chanteuse et l’actrice à la voix rauque, à l’œil moqueur, aux jambes parfaites. Maria Magdalene von Loch naît à Berlin en 1902, elle renaît Marlene Dietrich sous la caméra de son mentor, qui l’emmène en Amérique en 1930, la fait entrer à la Paramount, mais s’arroge le poste de producteur par contrat. Mais Marlene n’appartient qu’à elle-même, ultraféminine et rugueuse à la fois, ce que ses personnages ne démentent jamais, Blonde Vénus étant un sommet de sensualité et de tragique. C’est peut-être la première star dont on accepte qu’elle mène sa vie privée comme elle l’entend (d’aucuns disent « comme un homme »). Devenue citoyenne américaine, elle chante pour les troupes de son pays en Europe, sillonne le cinéma, impose son élégance hautaine et sa sensualité vénéneuse. « Ange » ou « démon » ? Là est la question. Elle s’est bien gardée de résoudre l’équation.
Le film : Blonde Vénus de Josef von Sternberg (3 mai et 11 mai). Pour sa douceur tragique, pour son éblouissante apparition en smoking de satin blanc.
Greta Garbo : Insondable et diaphane
Elle était suédoise, s’appelait Greta Luisa Gustafsson, affichait quelques kilos en trop et un visage pâle aux traits fins, avec des yeux traversés d’orages. En émigrant à Hollywood et devenant Greta Garbo, elle garda la double consonne du nom et du prénom qui font, dit-on, les stars ; elle perdit des joues et, le sourcil rehaussé, gagna en mystère. L’accent nordique en sus, elle avait l’étoffe d’une héroïne : Anna Karénine ou Reine Christine, Mata Hari ou Marguerite Gautier. Elle devint « la Divine », si fermée et insondable que la publicité s’engouffra dans la brèche : « Garbo parle ! », lorsqu’elle passa du muet au parlant dans Anna Christie de Clarence Brown ; « Garbo rit ! », lorsqu’elle se dérida pour la première fois à l’écran dans Ninotschka d’Ernst Lubitsch. Elle eut des amants, des maîtresses et des amours, mais garda jalousement sa vie privée. Retirée en 1941, à 36 ans, elle passa de déesse à mythe. « Êtes-vous Greta Garbo ? », lui aurait demandé bien plus tard un jeune homme la reconnaissant malgré son chapeau et son anonymat. « Je l’ai été », aurait-elle répondu. Le glamour, pourtant, résiste au temps.
Le film : Grand Hôtel de Edmund Goulding (11 et 27 mai). Pour sa grâce hautaine, sa réplique culte : « I want to be alone ».
Rita Hayworth : Sensuelle et fragile
Née à New York en 1918 de parents danseurs d’origine espagnole, elle hérite d’un nom exotique (Margarita Carmen Cansino) et monte avec eux sur les planches dès l’âge de quatre ans. Enfant de la balle, donc. Au charme troublant, à la grâce infinie. Exotique et envoûtante, elle joue dans des séries B. Puis change de studio et de patronyme : Hayworth est le nom de sa mère. De brune, elle devient rousse par la volonté du mogul Harry Cohn et des coloristes de la Columbia. Tout le monde se l’arrache, la Warner, la Fox… Arènes sanglantes et Strawberry Blonde sont tout entiers dévolus à cette vamp dotée d’une cascade de boucles pourpres. Même en noir et blanc elle flamboie, alors en Technicolor… C’est sa toison qui entre dans le champ comme un soleil la première fois qu’elle apparaît dans Gilda de Charles Vidor, en 1946, briseuse de cœurs qui les fait palpiter rien qu’en ôtant un gant. Puis Orson Welles, sacrilège, coupa les accroche-cœurs et teignit la vamp en blonde platine : elle était magnifique dans La Dame de Shanghaï, leur cadeau de rupture, mais ni le public ni la presse ne le comprit. Alors, elle redevint créature affolante à l’écran ; et, dans la vie, inconsolable, assoiffée d’amour. « Ils s’endorment avec Gilda et se réveillent avec moi », disait-elle. Le glamour, comme le sortilège profitant à Cendrillon, se brise après minuit.
Le film : Gilda de Charles Vidor (4 mai). Pour son apparition tout en cheveux, pour la danse sensuelle « Put the Blame on Mame ».
Ava Gardner : Animale et magnétique
Sublime beauté américaine née en Caroline du Sud un 25 décembre 1922 (ou 1921, on dit qu’elle mentit), elle s’appelait Ava Lavinia Gardner, ça ne s’invente pas. Brune et brûlante, elle avait le port altier et le sourire ravageur. Au sortir d’une enfance pauvre, elle envisage de devenir sténodactylo, mais son beau-frère, photographe new-yorkais, l’immortalise ; conquise, la MGM l’enrôle en 1942. C’est l’ère des pin-up pour soldats en goguette : elle est donc starlette. Mais refuse qu’on épile ses sourcils et retouche son menton à fossette. Jusqu’à un petit film noir de Robert Siodmak, Les Tueurs, où, la chevelure ample et la voix basse, elle arbore un corps à se damner dans une robe à bretelle unique : la voilà propulsée par la presse et le public femme fatale en chef, garce n°1. C’est gagné. Son langage coloré, ses errances alcoolisées, ses mariages et ses liaisons (Mickey Rooney, Miguel Dominguin, Frank Sinatra…) défraient la chronique. La vie l’intéresse plus que le cinéma. Les voies du glamour sont impénétrables. Elle passe, impériale, dans des films oubliables, et reste à jamais cette statue, cette déesse qui, de Pandora à La Comtesse aux pieds nus, capte et envoûte irrémédiablement.
Le film : La Comtesse aux pieds nus de Joseph L. Mankiewicz (3 et 21 mai). Pour son envoûtante danse autour du feu, pour son sourire tragique.
Marilyn Monroe : ingénue et irrésistible
Norma Jeane Baker naît en 1926 à Los Angeles et grandit non loin des Studios ; abandonnée par sa mère, elle se nourrit de cinéma, vénère Jean Harlow. Devenue mannequin, elle scrute les planches-contacts, interroge les photographes et apprend à être magnifique sur la photo. Starlette, elle change son nom (double consonne), devient blonde, fait toutes les photos de pin-up qui inondent les magazines, suit pieusement les cours de comédie, de chant et de danse. Il faudra dix-neuf petits rôles avant la gloire apportée par Niagara et surtout Les hommes préfèrent les blondes de Hawks. Elle comprend l’essence du glamour et réinvente pour elle-même tout ce que ses sœurs aînées ont traversé. Les mœurs, il est vrai, ont changé. Dès La Pêche au trésor où elle apparaît 39 secondes sous l’œil exorbité de Groucho Marx, elle est ingénue et attachante, sensuelle et sexuelle. Double elle est, double elle restera. Avec ce tempo comique unique, irrésistible, que tous, de Cukor à Wilder lui reconnaîtront. Mais la pression est gigantesque, les pilules pour dormir, les pilules pour se réveiller, les retards, les oublis, la peur de ne pas être à la hauteur… Pur produit de l’usine à rêves, consciente de tout, Marilyn pourtant, s’est laissé broyer jusqu’à s’y perdre… Mais le glamour est immortel.
Le film : Les hommes préfèrent les blondes de Howard Hawks (4 et 27 mai). Pour son mélange d’enfance, pour son ballet parfait.