DÉTECTIVES
Cette année, à Cannes, en compétition, il y avait des représentants de la loi professionnels : les faux Dupond de Ma Loute, les policiers de Ma’Rosa, de Moi, Daniel Blake ou même les gendarmes de Rester vertical. Mais on a également rencontré plusieurs enquêteurs amateurs, bien décidés, selon une vieille tradition romanesque, à mener leur propre enquête.
On peut commencer par la plus évidente, Isabelle Huppert, qui, dans le Elle de Paul Verhoeven, adapté du roman Oh…, de Philippe Djian, enquête sur l’homme masqué qui l’a violée. Mais l’absence réelle de mystère autour de l’identité du criminel et le caractère finalement secondaire de cette enquête, font partie des nombreux éléments trompeurs parsemant ce faux thriller qui cache en fait une farce sociale extrêmement noire.
Le caractère de l’enquête est plus littéral, en revanche, dans La Fille inconnue des frères Dardenne. Adèle Haenel incarne une femme médecin, prise de remords quand elle apprend qu’une jeune femme, à qui elle a refusé d’ouvrir la porte de son cabinet, est retrouvée morte quelques heures plus tard. La culpabilité et la manifeste lenteur des services de police l’amènent à rechercher elle-même l’identité de la malheureuse. Le dispositif narratif, ici, comme dans les classiques du roman noir, sert à décrire, à travers le cheminement d’un personnage principal au centre du récit, les dysfonctionnements d’une société. Raymond Chandler ou Dashiel Hammett, fondateurs du genre, ne sont pas si loin…
Dans Baccalauréat, Romeo, médecin à Bucarest, est prêt à tout pour que sa fille passe son bac afin qu’elle puisse quitter la Roumanie, terre selon lui sans avenir. La particularité de notre protagoniste, comme les héros des romans de Jim Thompson, est d’être enquêté tout autant qu’il enquête. Romeo cherche en effet à mettre la main sur l’agresseur de sa fille, tandis que l’étau se resserre autour de son entreprise de corruption afin de favoriser l’obtention du bac par la jeune femme.
Dans Le Client de Ashgar Farhadi, enfin, la dimension littéraire est plus complexe. En effet, le couple au centre du film joue dans une création théâtrale de Mort d’un commis voyageur d’Arthur Miller, et le réalisateur d’Une séparation assume pleinement la relation entre la pièce du dramaturge et son scénario. On pourrait pourtant chercher souterrainement la patte de Georges Simenon dans la description d’un homme bien décidé à retrouver lui-même l’agresseur de son épouse. Une lecture à plusieurs niveaux qui colle finalement assez bien avec un film où les doubles sens voisinent avec de trompeuses apparences.