CANNIBALISME
Ce fut une image récurrente sur les écrans cannois cette année : des corps découpés et dévorés par des personnages d’apparence ordinaire, dont la nature cannibale trouve son ancrage dans un cadre réaliste.
Dans Ma Loute de Bruno Dumont (en compétition officielle), c’est toute une famille de natifs de la Côte d’Opale qui se nourrit goulûment du corps des touristes qu’ils estourbissent à ces fins culinaires. C’est source d’effroi et de comique burlesque, quand l’ensemble des personnages, par ailleurs, évolue dans le cadre, de la terre au ciel (on s’y envole à deux reprises !), chutant, chavirant, boitant ou courant. S’installe, dès lors, dans ce contraste entre le mouvement incessant des vivants et les morts réduits en pièces, le tout dans un décor maritime aéré, une étrangeté singulière et saisissante.
Dans Grave, premier long-métrage de Julia Ducournau, découvert à la Semaine de la Critique, Justine, une jeune fille végétarienne, élève en école vétérinaire, doit, lors d’un bizutage, avaler de la viande crue. Elle découvre, dès lors, sa vraie nature : une tendance atavique au cannibalisme. Julia Ducournau filme sa jeune héroïne et ses désirs changeants avec une audacieuse frontalité. C’est gonflé, transgressif, un brin gore et presque sensuel.
Dans The Neon Demon, le film esthétisant à outrance de Nicolas Winding Refn (en compétition officielle), une jeune top model gracile débarque à Los Angeles, rencontre le succès et devient source de convoitises et jalousie pour ses consœurs. Là aussi, dans une séquence prévisible flirtant avec le grotesque, un globe oculaire se retrouve ingurgité à la manière d’une hostie en pleine communion.
On pourra songer aussi aux doigts coupés avec sadisme lors une séquence de torture dans Mademoiselle de Park Chan-Wook. Mais ceux-ci atterrissent dans une corbeille et sont donc hors jeu dans notre exercice de synthèse !
Il faudrait évoquer aussi les nombreuses cicatrices caractérisant les corps des personnages croisés sur les écrans cannois, parmi lesquelles celles parcourant le dos du rugbyman wallisien au corps massif dans le très réussi Mercenaire de Sacha Wolff, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs. Une image forte qui persiste dans notre mémoire.
Des corps meurtris à outrance cette année, dont la consommation digérée relève de la transgression suprême : celle de voir la vie et la mort se faire la courte échelle.