BESTIAIRE
L’animal peuple le cinéma. Présent comme idée de la coexistence pacifique, bienveillante. Le bouledogue anglais de Paterson de Jim Jarmusch a décroché la Palme Dog 2016. Il harmonise l’intérieur du couple central et trône en portraits dans tout le salon. Les chevaux et les ânes des caravanes de Mimosas d’Oliver Laxe, les troupeaux de moutons bardés de chiens de berger de Rester vertical d’Alain Guiraudie et de Wolf and Sheep de Shahrbanoo Sadat, et l’ours polaire des banquises de Two lovers & a bear de Kim Nguyen, aident l’humain dans ses missions. Andrea Arnold fait de l’espèce animale un élément de son esthétique quotidienne dans American Honey. Papillon, araignée, chien, chat, cheval et ours sont des motifs d’humeur vagabonde et poétique, raccords à son road-movie juvénile. La quintessence de la magie trône dans La Tortue rouge de Michaël Dudok de Wit. Symbole de la transformation, du secours, de la croyance, elle sauve l’homme échoué de sa solitude, et le garde précieusement sur son île déserte.
La bête incarne aussi l’étrangeté, la menace. Le chartreux Marty assiste impassible au viol de sa maîtresse Isabelle Huppert, dès la première scène du Elle de Paul Verhoeven. Le chien de garde de la maison de Dogs de Bogdan Mirica grogne, aboie, alimente la tension et ne la lâche plus jusqu’à ce qu’un monstre humain l’achève. Les loups sont là, tapis dans l’ombre et la montagne de Rester vertical. Dans l’ultime plan, ils entourent les hommes, silencieux, majestueux, maîtres du bal. L’oiseau jaune mort rappelle au héros rabaissé, mais toujours debout, la fatalité de son destin de paria dans A Yellow Bird de K. Rajagopal. Les termites ont envahi les murs de l’édifice d’Aquarius de Kleber Mendonça Filho. Déposés en masse par des spéculateurs sans scrupules, ils pourrissent l’habitat, mais vont retourner à leur envoyeur. Dans le thriller d’épouvante The Strangers de Na Hong-jin, poulet, corbeau, chien, chèvre, chevreuil font partie des signes et rituels métaphysiques et diaboliques. Et dans Grave de Julia Ducournau, l’étudiante vétérinaire bizutée végétarienne doit avaler un rein de lapin, étudie et autopsie chien, vache, cheval, avant de goûter à la chair humaine…
L’étrangeté n’est pas forcément négative. La transformation d’une fillette en chaton permet à Chloë Sevigny de s’amuser avec son essai de mise en scène dans Kitty, court-métrage tiré d’une nouvelle de Paul Bowles. Justine Triet injecte de la drôlerie avec l’étude scientifique et judiciaire du dalmatien Jacques dans Victoria. Ou comment aboiements et sens du battement de queue canin révèlent l’empathie ou non avec le sujet humain regardé. Sans compter les selfies d’un chimpanzé en plein mariage. Dans Apnée de Jean-Christophe Meurisse, les héros croisent une autruche en plein supermarché, madame monte à cheval les escaliers qui mènent à son mariage à trois, et surgissent des créatures à excroissance crânienne, entièrement poilues, tirées de costumes de rituels païens bulgares babugeri, qui sèment le délire tout comme dans Toni Erdmann de Maren Ade. La parure bestiale comme révélateur de l’humanité, dans le plan où l’héroïne se jette au cou de son père.