Un an après Le film que nous tournerons au Groenland, et deux ans après le très remarqué Inupiluk, Sébastien Betbeder, Thomas Blanchard et Thomas Scimeca se retrouvent pour leur premier long-métrage en commun, le film qu’ils ont enfin tourné au Groenland, à la fois suite et synthèse des court-métrages précédents.
Ils sont deux. Ils multiplient les points communs et les différences complémentaires. Les mêmes cheveux longs et sales. Le même faux air (assumé) de Richard Anconina dans Itinéraire d’un enfant gâté. Le même prénom. Thomas et Thomas, jeunes trentenaires, comédiens – intermittents du spectacle partent au Groenland. Un voyage initiatique chez le père de l’un d’eux, installé depuis plusieurs années déjà à Kullorsuaq, un petit village au nord du cercle polaire. Là, ils vont faire connaissance avec la glace, la chasse et la communauté Inuit.
En 2015, le réalisateur québécois Dominic Gagnon créait la polémique avec Of the North, patchwork de vidéoblogs montrant les dérives de certaines communautés Inuits. Pendant si longtemps à l’écart du reste du monde, ces populations se sont retrouvées, avec l’arrivée d’Internet, brusquement, soudainement, connectés à l’international. La connexion qui passe mal, dans tous les sens du terme, c’est aussi le sujet du film de Sébastien Betbeder. Sauf qu’ici, elle finit par passer quand même.
Le Voyage au Groenland est une comédie, une vraie, avec des séquences franchement hilarantes. Mais pour autant, Betbeder traite son sujet avec un sérieux et une exigence de naturaliste, d’ethnographe. Un Jean Rouch qui fait des blagues, diraient Thomas et Thomas. Le film ne fait pas l’impasse sur les problématiques de suicides et d’alcoolisme qui rongent insidieusement la communauté. Google est le même pour tous, et fait des signes de plus en plus grands. Que faire, à Kullorsuaq, contre ça, sinon raviver de vieux souvenirs et perpétuer les traditions ancestrales qu’on sait un peu vaines ? Alors quand deux Parisiens un peu paumés débarquent sur cette terre blanche, tout le monde est fier et heureux de raconter ses souvenirs et de partager ses traditions.
Et comme Thomas et Thomas, on se laisse porter par le calme un peu euphorisant de Kullorsuaq. On traverse le film un sourire aux lèvres, transporté par ce doux bonheur qu’on ressent quand, l’hiver, bien au chaud, on regarde par la fenêtre la neige tapisser la rue. On aurait presque envie, nous aussi, de poser sa valise à Kullorsuaq. On apprendrait quelques mots de groenlandais. On se laisserait surprendre par la nuit qui ne tombe jamais. De temps en temps, on jouerait les téméraires, et on accompagnerait les hommes à la chasse au phoque.
Si certaines séquences – notamment les flash-back – peuvent sembler maladroites, ou un peu caricaturales, Sébastien Betbeder, Thomas Blanchard et Thomas Scimeca réussissent l’exploit de faire aimer le Groenland, sans pour autant jouer la carte du cliché de vie simple, de sobriété heureuse pour Parisiens fatigués. Kullorsuaq n’est peut-être pas le paradis sur Terre, mais après 1h30 de film, on quitte le village et les deux Thomas, content du voyage et avec l’envie d’y revenir. Même si les Thomas savent au moment des adieux qu’ils ne reviendront peut être jamais. Très vite, ils seront pris à nouveau dans le brouhaha parisien et la course aux cachets. Mais avec, toujours présente bien au fond de leur mémoire, la parenthèse enchantée du voyage au Groenland.