Découvert à Cannes en mai dernier, le documentaire fleuve de Bertrand Tavernier avait eu cet effet rare de reposer soudain les nerfs de la poignée de spectateurs venus se barricader et s’isoler trois heures durant des combats critiques déchaînés du Festival. Hébergé dans la douillette sélection parallèle de Cannes Classic, le film, à l’écart de toute compétition, étirait langoureusement sa déambulation amicale dans les ruelles secrètes d’un cinéma national trop méconnu. Nul doute que le film gardera son pouvoir apaisant, aujourd’hui qu’une sortie en salle lui est offerte. Dès la première image, voyant Bertrand Tavernier arpenter le jardin de sa maison d’enfance avec sa démarche d’albatros, le film avance au rythme des pas d’un vieil homme, revenu sur les tombes de ses chers disparus, et marque d’emblée son originalité. Nul documentaire au ton professoral ici, mais bien plutôt une forme d’autobiographie pudique, où une existence de cinéphile se révèle dans les plis de pellicules anciennes, et s’illumine à la lueur d’images oubliées et tremblotantes. Avec sa voix haut perchée, traversée d’aigus enthousiastes ou se voilant souvent d’un timbre grave vibrant d’émotion, Tavernier abandonne un instant sa fébrilité d’artiste engagé pour revoir se dérouler les films de sa vie comme on regarde couler un fleuve à la tombée du jour, dans une invite lancée aux spectateurs de s’asseoir à ses côtés, et laisser les fantômes de Julien Duvivier, Jean Sacha, Claude Sautet et tant d’autres venir à leur rencontre.