En 1982, âgé de 74 ans, Manoel De Oliveira réalise un documentaire sur la maison qu’il a habitée quarante années durant avec sa femme et ses enfants et qui, pour éponger des dettes, va être vendue. C’est un film fantomatique et joyeux, où deux personnes dont on n’entend que les voix visitent le lieu et s’émerveillent de son charme. De Oliveira se lève soudain de son fauteuil de travail, si jeune à nos yeux, pour égrener face caméra, avec ironie et douceur, ses souvenirs, et affirmer sa vision du monde. Par une fantaisie dont le réalisateur avait le secret, il décida que ce film ne serait montré qu’après sa mort, comme une espèce de testament anticipé. Il ne savait pas alors qu’il vivrait jusqu’à l’âge de 106 ans et signerait encore une vingtaine de longs et courts-métrages, parmi lesquels Le Soulier de satin, Les Cannibales, Val Abraham, Belle toujours… Visionné aujourd’hui, ce chaînon manquant dans l’œuvre du prolifique Portugais est un bonheur étrange et durable. Qui prolonge les préoccupations thématiques et provoque une envie irrésistible de se replonger dans ses films : ceux d’avant Visite ou mémoires et confessions, et ceux d’après. Histoire de confirmer la sensation que cette borne temporelle envoyée de l’au-delà y a sa place, comme un message d’éternité que seul le cinéma peut nous offrir.