À quoi ressemblent le malheur et le bonheur dans l’enfance ? Au deuil et à la perte, à l’amour et à l’amitié. Comme chez les grands, comme dans l’immense petit film du Suisse Claude Barras, découvert à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en mai dernier.
La mort arrive aussi dans la vie des enfants. Tôt ou tard, ils savent le commencement et la fin, ils apprennent que seul ce qui vit meurt. La mort est dans les fables, dans les contes, dans les livres et au cinéma. Elle ne condamne pas seulement les méchants, les monstres, les sorcières. Elle est là pour nous, menace pesant comme une épée posée sur notre cou, éveil à la conscience de la finitude ou expérience de sa tragédie traumatique.
Claude Barras n’est pas le premier à filmer la mort et l’innocence foudroyée. On a tous en tête la mort violente de la mère de Bambi, tuée par les chasseurs dans le film de Disney sorti au mitan de la Seconde Guerre mondiale. « Maman… ? » : l’appel déchirant du jeune faon reste dans nos souvenirs les plus tristes. Nos parents ne sont pas éternels et personne ne l’est.
Avec Banquise, son court-métrage d’animation dessinée, sélectionné au Festival de Cannes en 2006, Claude Barras ne faisait pas seulement mourir les grands, les vieux ou les malades, par fatalité : il tuait l’enfance même, une petite fille trop grosse, trop seule, trop triste, qui voulait devenir mince, populaire et joyeuse. Dans un été caniculaire, elle revêtait sous un soleil trop fort ses habits d’hiver, un manteau, une écharpe, un bonnet. Marine fondait, Marine mourait de chaud.
Claude Barras fait revenir la mort dans Ma vie de Courgette. Comme Bambi, Courgette, le petit garçon marionnette de son premier long-métrage en stop-motion, a perdu sa mère, alcoolique. Peut-être est-ce lui qui l’a tuée, accidentellement. Il le croit, comme il croit au ciel et croit aux rêves. Comme Bambi, Courgette est ce petit orphelin vaillant qui ne s’effondre pas. Il ne renonce pas, il n’abandonne pas, il ne désarme pas devant son drame et sa souffrance : Courgette est vivant et dans ses grands yeux naïfs vivent l’espoir et le réenchantement.
Adapté du livre de Gilles Paris, scénarisé par Céline Sciamma, Ma vie de Courgette gonfle le cœur. Tout est dur, tout est tendre, tout est drôle, et l’on songe que Claude Barras aura revu Épicure dans sa Lettre à Ménécée : « La mort n’est rien pour nous, puisque, tant que nous existons nous-mêmes, la mort n’est pas ». Courgette vit sa vie, à hauteur d’une enfance éternellement douce. Courgette est un bonheur.