Dans La Vénus à la fourrure, le dernier long-métrage de Roman Polanski, un metteur en scène est confronté à ses fantasmes, son actrice et la vengeance d’un de ses personnages. Dans ce film faussement classique, les masques en cachent d’autres, le rire s’étrangle dans la gorge des spectateurs, les répliques fusent et les rôles s’inversent…
Elle arrive trempée, les cheveux en berne, le mascara ruisselant sur les joues. Elle débarque, malgré la fermeture du théâtre, pour auditionner. Seulement voilà, les auditions sont terminées, tout le monde a remballé. Sauf un homme, Thomas, qui s’avère être le metteur en scène, perdu, en retard pour retrouver sa douce qui le harcèle au téléphone. Il n’a pas trouvé son actrice. Sa Vanda qui lui permettrait de monter enfin son rêve : l’adaptation au théâtre de La Vénus à la fourrure de Léopold von Sacher-Masoch. Celui-là même qui a donné son nom au masochisme.
Un projet ambitieux. Peut-être un peu trop, se dit-il. S’il n’a pas sa Wanda, il ne peut pas monter sa pièce. Et franchement, comment cette jeune femme gouailleuse pourrait-elle changer les choses ? Parce qu’elle s’appelle Vanda ? Ce serait trop simple. Parce qu’au moment où elle pose le pied sur les planches, vêtue d’une robe de costume qu’elle a apportée, elle semble devenir son personnage ?
La Vénus à la fourrure, c’est d’abord un film sur l’incarnation, la façon dont les acteurs -une actrice- peuvent s’approprier le texte d’un auteur, se poser des questions et tenter d’y répondre. C’est aussi un film sur la façon dont les metteurs en scène peuvent se voir dépassés par leurs interprètes, alors même qu’ils tentent de les diriger. C’est la première lecture de La Vénus à la fourrure. Celle qui s’impose dans les trente premières minutes du film. Ce n’est, bien sûr, pas la seule.
A mesure que les deux protagonistes avancent dans le texte de la pièce qu’ils « répètent », leur relation évolue. Presque insensiblement, les rapports de force s’inversent, les masques tombent, pour en révéler de nouveaux. Car c’est à un jeu dangereux que Vanda et Thomas vont jouer, aidés par les mots de Sader-Masoch, poussés par un orage qui gronde dehors et les place dans une bulle hors du temps et du monde des vivants.
Un jeu magnifiquement porté par ses acteurs. Comme la pièce de théâtre américaine, également montée sur les planches de Broadway, Polanski joue la carte des trois unités du théâtre classique – aucune ellipse, un seul décor, un duo en action constante.
Mathieu Amalric et Emmanuelle Seigner endossent avec brio les rôles de Thomas et Vanda et parviennent à être justes même dans les passages les plus outranciers. Il fallait tout leur talent pour réussir à être exacts en jouant des sentiments exacerbés, pour réussir à nous faire croire aux masques successifs qu’ils arborent. Et même… pour nous faire rire !
Qu’on ne s’y trompe pas, La Vénus à la fourrure est doté de cet humour noir et corrosif qui fait ricaner et réfléchir. Polanski laisse évoluer ses acteurs, tout en leur créant un univers de jeu riche, à partir d’un « simple » théâtre dont la scène est encombrée d’accessoires « far west ». Rien n’est laissé au hasard : la mise en scène souligne sans surligner, parvient à varier les cadres au sein de son unique décor et à créer une étonnante impression d’espace.
Complexe, surprenant et intelligent. Mais aussi drôle, fin et fascinant, La Vénus à la fourrure fait partie des oubliés du palmarès cannois de l’an dernier. C’est pourtant l’un des plus grands films d’un immense cinéaste.