Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde

d’Emanuel Pârvu : la lumière et le mensonge

Le troisième long-métrage d’Emmanuel Pârvu, Trois Kilomètres jusqu’à la fin du monde fut l’un des films les plus délicats et intenses de la compétition à Cannes 2024. Attaché au drame d’un jeune homme dans un milieu naturel chatoyant, il décrit la naissance d’une profonde désillusion. Le film sort en salle cette semaine.

Un petit village dans une somptueuse zone naturelle préservée dans le delta du Danube. La plupart du temps, ce lieu est totalement isolé, préservant l’autarcie de ses habitants. À l’inverse, en été, il est saturé de touristes. Adi croise ainsi l’un d’entre eux un soir. Puis, il est sauvagement agressé dans la rue sans que l’on sache véritablement par qui ni pourquoi. Choqués, les parents du jeune homme le font examiner par les médecins et alertent le policier local dès le lendemain…

Le réalisateur du film, Emanuel Pârvu s’est tout d’abord fait connaître comme acteur (notamment dans Contes de l’âge d’or, puis Baccalauréat de Cristian Mungiu). Il a réalisé deux films inédits chez nous et accompagne la sortie de son troisième long-métrage, Trois Kilomètres jusqu’à la fin du monde cette année. Tel un véritable personnage, observé par une caméra stable et englobante posée sur pied, le décor participe en permanence à une élégie de la nature, verte et abondante, le soleil dansant en harmonie avec le vent et des particules miroitantes. Pârvu a cité par ailleurs Le Rayon vert d’Eric Rohmer en conférence de presse comme exemple cinématographique de référence pour lui et son chef-opérateur (Silviu Stavilă, qui a beaucoup travaillé avec Lucian Pintilie à capter la lumière). Cette esthétique contraste avec un récit éminemment sec et précis. Pârvu démonte à la loupe la cruauté d’une société aveugle, décrypte le fonctionnement hypocrite d’un état d’esprit archaïque dérangé par l’idée de défendre un jeune homosexuel. Il examine en premier lieu les réactions de la cellule familiale : le père, impénétrable et lâche (Bogdan Dumitrache, minéral) et la mère (Laura Vasiliu, découverte, jeune fille, dans 4 mois, 3 semaines, 2 jours de Cristian Mungiu) aux prises avec son malheur, vivent le dévoilement des attirances de leur fils comme une catastrophe intime. Ce bouleversement va jusqu’à dissiper en eux l’acte de violence physique dont leur rejeton a été victime. Cédant à la peur et à la croyance, le gamin est vite amené chez un prêtre exorciste, ce dernier considérant la différence du jeune homme comme une maladie. Chaque étape chassant l’autre, le cinéaste montre avec beaucoup d’habileté un travail de sape généralisé, conscient ou non, pour cacher la poussière sous le tapis : flic, bourgeois, marin-pêcheur, chef de la société civile locale, personne ne fait rien pour que lumière soit faite en faveur d’un mineur différent. Et dès lors, c’est le monde entier qui s’effondre pour Adi : son premier cercle, la famille, n’est plus protecteur, le second – ce village d’enfance qu’il a toujours connu et où tout le monde le connaît – non plus. Et donc, son propre pays ne l’est plus. Malgré la beauté de la nature et une seule amie résistante (Ingrid Micu-Berescu, fraîche et captivante), il ne reste plus que le mensonge.

Olivier Bombarda