Premier long-métrage de Kanu Behl, Titli, une chronique indienne, répudie les clichés du cinéma indien et lapide les codes d’une société patriarcale. Rencontre à Bombay avec le cinéaste et son producteur, Dibakar Banerjee.
Le premier déclic pour l’écriture de Titli (papillon en hindi) vient d’un fait divers de car-jacking à New Delhi. Avec un réalisme proche du documentaire, Kanu Behl filme le sordide et la violence d’une fratrie de mafieux dans l’univers glauque des bidonvilles de la capitale indienne. Gringalet au regard lunaire, Titli semble s’être égaré dans sa propre famille. À l’image d’une pub des années 2000 où le type cogne sur sa voiture pour la mettre aux normes du modèle occidental, Titli rêve d’ascenseur social. Mais c’est lui qui est cabossé à force de refuser d’entrer dans le moule. « Titli est un film sur le conditionnement, la transmission entre les générations », dit Kanu Behl. « C’est le parcours initiatique de ce garçon, tiraillé entre son désir d’être un homme différent de ceux qui l’entourent, et l’homme qu’il est réellement en train de devenir. » Pour lui couper les ailes, son frère aîné Vikram (Ranvir Shorey, unique star du film) arrange un mariage forcé avec Neelu (Shivani Raghuvanshi, déjà primée pour ce premier rôle). Sous l’influence du bling-bling contemporain, l’envoûtante Neelu est amoureuse d’un autre homme, mieux « carrossé »…
Tel père tel fils
Titli (Shashank Arora, dont c’est aussi le premier rôle) est criblé de dettes et se retrouve piégé entre une femme insoumise et l’emprise de ses frères. Plus il tente de se soustraire au carcan familial, plus il se métamorphose, malgré lui, en tyran. Notamment lorsqu’il veut exercer son droit de cuissage sur sa jeune épouse. Le père de Kanu, Lalit Behl (écrivain et acteur) figure lui aussi au casting. « J’ai eu une relation très ambivalente avec lui. Et comme tous les jeunes Indiens, je me suis rebellé contre son autorité. Donc j’ai imaginé ce personnage à la fois absent et omniprésent. Quasi fantomatique ! ». Le film est d’ailleurs scandé par les apparitions de cette figure archaïque de père, enfermé dans un mutisme éloquent, à l’exception de ses ablutions mâtinées de borborygmes : un langage non verbal que Behl érige en motif récurrent. Glacial ! Pour échapper à leur oppresseur, Titli et Neelu vont conclure un pacte sans retour, jusqu’à berner un concessionnaire automobile qu’ils attirent dans un traquenard. Loin des serments amoureux, sang et adrénaline vont sceller les noces du couple.
La nouvelle vague indienne ?
Selon son producteur, Titli est le premier film qui dissèque les mécanismes d’une société machiste en proie à de profonds changements. « La guerre des sexes est un phénomène exponentiel en Inde ! Elle se joue entre les sexes, mais aussi entre les classes, entre les castes, entre les traditions et l’individualisme consumériste. C’est très présent, on le ressent tous ! », lance Dibakar Banerjee. Kanu Behl a été son assistant sur Oye Lucky ! Lucky Oye ! (2008). Ils ont ensuite co-écrit LSD (Love Sex aur Dhokha, 2010). Banerjee poursuit : « Jusqu’aux années 1980, le cinéma indien était focalisé sur les idéologies propres aux sociétés postcoloniales. La famille, les traditions, l’idée que l’amour est un idéal merveilleux, mais le sacrifice bien plus fort ! ». Le renouveau du cinéma indien serait donc révélateur d’un élan d’insurrection ? « Les curseurs ont commencé à bouger à partir des années 1990. Avec la nouvelle économie, les studios sont devenus plus indépendants, d’où l’émergence de nouveaux talents. » Mais Banerjee ne croit pas à ce qu’on appelle « la nouvelle vague indienne » : « L’Inde est encore tiraillée entre l’influence du cinéma hollywoodien et le désir de s’en émanciper. Donc l’authenticité de cette nouvelle génération de cinéastes est sur le point de se construire… ».