Pour son vingt-deuxième long métrage, André Téchiné fait preuve d’une folle jeunesse en observant deux adolescents, leurs colères, et leurs émois… Un grand film bouleversant sur les bouleversements.
Un paysage de neige pyrénéen. Tom, jeune garçon emmitouflé, marche d’un pas décidé pour rejoindre la route goudronnée et attraper le car qui l’emmènera au lycée. Là, lors d’une séance de basket où deux capitaines forment leurs équipes, Tom et Damien sont les derniers sur les gradins. Ils se jettent des coups d’œil furtifs, furieux, indéfinissables… Puis, en cours de français, un croc en jambe de Tom fait trébucher Damien, qui s’étale de tout son long ; à l’interclasse, une bagarre d’une violence inattendue les oppose sur le sol de la cour.
Damien vit dans la vallée avec sa mère, Marianne, médecin généraliste ; son père, militaire de carrière, est au loin, en Orient, où gronde une guerre sans nom ; il revient dès que possible et leur parle fréquemment via Skype. Tom est le fils adopté d’un couple de fermiers vivant dans les montagnes ; sa mère, Christine, de fausse couche en fausse couche, a renoncé à mettre un enfant au monde, et justement, Marianne, appelée à son chevet, lui annonce qu’elle est enceinte. Pour s’assurer que la grossesse aille à son terme, Marianne envoie Christine à l’hôpital et propose d’accueillir Tom chez elle.
Rimbaud dans le titre (« On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans » est la première phrase de son poème intitulé « Roman »), Marcel Proust en exergue du dossier de presse, le vingt-deuxième long-métrage d’André Téchiné, écrit avec Céline Sciama, ne reste pas sous l’égide de ces références littéraires et affronte le réel. L’apport à l’écriture de la réalisatrice de passionnantes radiographies d’enfance et d’adolescence — Naissance des pieuvres, Tomboy et Bande de filles — est palpable dans les petits riens, les frémissements, les détails anodins qui font tout. Le film s’attache en trois trimestres et autant de saisons, de l’hiver aux prémisses de l’été, de l’après-rentrée au bac, à cet âge crucial où l’on doit se déterminer sur tout, alors qu’on doute de tout : qui on est, qui on aime, ce qu’on veut être et faire plus tard. Loin de se focaliser sur les seuls Tom et Damien, le film fait aussi le portrait de deux couples parentaux et laisse circuler l’amour et la tendresse, jusqu’à observer le trio formé par Marianne et les deux garçons. Corentin Fila, nouveau venu épatant, donne à Tom une rage gracile. Kacey Mottet Klein, découvert dans Home et L’Enfant d’en haut de Ursula Meier, puis Une mère de Christine Carrière, confirme un tempérament d’acteur et confère à Damien d’infinis paradoxes et une authenticité bouleversante. En mère accueillante, médecin des corps et des âmes et femme amoureuse de son mari, Sandrine Kiberlain, une fois de plus, une fois encore, est parfaite.
On ne manquera pas de rapprocher ce beau film lumineux du précédent de Téchiné sur le même thème, Les Roseaux sauvages, tourné en deux versions, télévisée et cinéma, en 1994. Pour très réussis qu’ils soient, ils sont aussi différents : une modernité, une acuité nouvelles donnent à Quand on a 17 ans un souffle indéniable. On reconnaît la patte de Téchiné, ses obsessions et ses motifs, mais il en ajoute d’autres, essentiels. Faire couple, faire groupe, faire corps. Être solidaires, en empathie et en soutien. La mise en scène ample élargit de l’individu à la famille, du gros plan sur les visages et les corps traversés de bouleversements aux plans larges embrassant les paysages et leurs changements, du froid au chaud, du particulier à l’universel.