L’artiste total, Alejandro Jodorowsky (cinéaste, poète, écrivain, marionnettiste, peintre, scénariste de BD, metteur en scène de théâtre) poursuit son autobiographie filmée, entamée en 2013 avec La Danza de la Realidad. Poesía sin fin, découvert à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en mai dernier, est une œuvre vibrante, dotée d’une énergie communicative. Un beau chant d’amour à l’art et à la vie.
Nous sommes au mitan du siècle dernier. « Alejandrito » Jodorowsky quitte, avec ses parents, le petit village chilien de Tocopilla pour la capitale Santiago. Son père, un homme autoritaire, incapable du moindre geste affectueux, rêve de voir son fils devenir médecin et méprise la poésie qu’Alejandro vénère tant. Un beau jour, dans un geste symbolique fort, le jeune homme abat l’arbre familial à coups de hache, renvoie paître les siens, et part accomplir sa vocation profonde : celle de poète. Il rencontrera, dès lors, un « supra ténor », un « poly peintre », un « ultra pianiste », des « danseurs symbiotiques », tout un univers bohème, intellectuel et artistique, qui le conduira à fréquenter de grands noms de la poésie, comme Stella Diaz, Nicanor Parra ou Enrique Lihn. Tous, artistes en action, lui ouvriront l’esprit et jalonneront, chacun à sa manière, son chemin de vie, jusqu’à son départ pour la France (promesse d’un troisième volet réjouissant).
Le réalisateur de El Topo et La Montagne sacrée, aujourd’hui âgé de 87 ans, revient sur les traces de sa jeunesse (littéralement, car le film fut tout entier tourné sur les lieux véritables où il grandit), et transcende ce récit initiatique pour signer une œuvre d’une belle ampleur où se chante et se danse l’amour de la vie et des hommes. Chaque photogramme de Poesía sin fin, par ses couleurs chatoyantes et l’inventivité de son orchestration, dégage un élan vital profond. La poésie en question est à comprendre dans son sens étymologique grec, celui d’acte de création, dont le premier consiste ici à marcher d’un pas enjoué (« Vamos ! ») et traverser une ville en ligne droite, comme le firent Jodo et son ami Enrique Lihn – « La poésie est un acte, une façon de vivre », explique le cinéaste.
Au contact des personnages qu’il rencontre – comme ce clochard aux mots retentissants : « Une vierge nue illuminera ton chemin avec un papillon ardent », ou ce public de cirque qui porte son corps nu en triomphe – Jodorowsky grandit, se révèle à lui-même et aux autres, et déploie sa vitalité avec générosité et amour. De la même manière qu’il tente de soigner les individus qui, longtemps, l’ont consulté lors de séances de tarots et de « cabaret mystique », il ouvre les consciences et y insuffle son énergie. « La vie est un jeu, il faut rire de tout, même du pire », est-il dit dans les dialogues d’une séquence circassienne. Ainsi circule, d’un bout à l’autre de ces 2h08 de métrage, ce joyeux chant d’amour, porté par des comédiens habités et toniques (dont les fils Jodorowsky, Adan et Brontis, dans les rôles de Jodo fils, pour le premier, et père pour le second… joli maelstrom psychanalytique !), et une équipe technique inventive – très beau travail sur les décors, la lumière, les costumes (que signe l’épouse et complice du cinéaste, Pascale Montandon-Jodorowsky), et la musique (composée par Adan Jodorowsky). Tout cela est fou, créatif, et amoureux. Il semblerait, en effet, que le cœur de Jodorowsky soit « capable d’aimer le monde entier ».